jeudi , 25 avril 2024

Notre-Dame du Nil

Auteur: Scholastique Mukasonga

Editeur: Gallimard – 2012 (222 pages) / Folio – 2014 (288 pages)

Prix Renaudot 2012

Lu en juin 2020

Mon avis: Le lycée Notre-Dame du Nil est un internat catholique pour jeunes filles de la bonne société rwandaise, destinées à devenir l’élite féminine du pays. Perché dans les montagnes à 2500 mètres d’altitude, à proximité des sources du Nil et loin de Kigali la tentatrice, il est tenu d’une main de fer par des religieuses belges, dont l’objectif est aussi (surtout) de préserver la virginité des adolescentes qui y sont scolarisées, et ainsi leur garantir un beau et riche mariage.

En ce début des années 70, le Rwanda est indépendant depuis une dizaine d’années et cherche à se faire une place et une identité parmi le concert des nations. Autant dire que le jeune Etat part sur de mauvaises bases, puisque la ségrégation des Tutsis est à l’œuvre depuis longtemps. Leur mise à l’écart touche l’enseignement aussi, et le lycée ne peut accueillir qu’un quota de dix pourcents d’élèves tutsies, isolées au milieu des représentantes du « peuple majoritaire » hutu. Parmi ces dernières, Gloriosa, fille de ministre, s’érige bien vite en meneuse intolérante, entourée d’une cour de suivantes qui soit partagent son dégoût des Tutsis (surnommés « Inyenzi », cafards), soit sont trop lâches ou trop bêtes pour s’opposer à elle.

Entre pèlerinage annuel à la statue de Notre-Dame du Nil et visite de la reine Fabiola, l’année scolaire s’écoule de moins en moins paisiblement, les insinuations indélicates de Gloriosa à l’égard de ses condisciples tutsies laissant peu à peu la place à un discours haineux et va-t-en-guerre, et cela dans le silence assourdissant des religieuses et des enseignants, qui ne veulent surtout pas prendre parti. Ensuite, des paroles aux actes, le pas sera aisé à franchir.

D’une chronique parfois cocasse de la vie quotidienne d’un pensionnat select pour jeunes filles à un final dramatique et sans espoir, « Notre-Dame du Nil » explique, à l’échelle du microcosme d’un lycée isolé, la montée de la terreur et de la haine qui déclencheront, 20 ans plus tard, un massacre d’une violence exponentielle.

A hauteur d’adolescence, l’auteure montre bien le rouleau compresseur hutu symbolisé par Gloriosa face aux « cafards » tutsis impuissants et qui ne trouveront que rarement une échappatoire. Elle dénonce le non-interventionnisme des Blancs, et plus largement, cible la politique de la Belgique, ancienne puissance colonisatrice : en fonction de ses propres intérêts, fluctuants, celle-ci a d’abord privilégié les Tutsis, avant de changer de stratégie et de se concilier les bonnes grâces des Hutus, semant les germes d’une rivalité raciale aux conséquences tragiques.

Malgré des personnages un peu caricaturaux, on se laisse prendre par le style simple et efficace, et par le talent de conteuse de l’auteure. Elle sait s’y prendre pour nous faire ressentir la progression de l’angoisse et pour nous immerger dans la société et l’histoire rwandaises. Une question me reste cependant : imaginait-on, à l’époque, l’ampleur du massacre de 1994 ?

Présentation par l’éditeur:

« Il n’y a pas de meilleur lycée que le lycée Notre-Dame du Nil. Il n’y en a pas de plus haut non plus. 2 500 mètres annoncent fièrement les professeurs blancs. 2 493, corrige sœur Lydwine, la professeure de géographie. “On est si près du ciel”, murmure la mère supérieure en joignant les mains. »

Rwanda, début des années 1970. Au lycée Notre-Dame du Nil, près des sources du grand fleuve égyptien, de jeunes filles en fleurs se préparent à devenir de bonnes épouses, de bonnes mères, de bonnes chrétiennes. Mais sous le calme apparent couve la haine raciale. Un quota « ethnique » limite à 10 % le nombre des élèves tutsi, les persécutions se multiplient et voici que s’approchent les nervis du pouvoir

Rescapée du massacre des Tutsi, Scholastique Mukasonga nous offre une œuvre poignante, où des adolescentes aux mains nues tentent d’échapper à une Histoire monstrueuse.

Une citation:

– Alors j’ai pensé à ce que racontait la mère de Goretti: qu’autrefois les gorilles étaient des hommes. Moi, j’ai une autre histoire à proposer: c’est que les gorilles ont refusé d’être des hommes, ils étaient presque des hommes, mais ils ont préféré rester des singes dans leur forêt, tout en haut des volcans. Quand ils ont vu que d’autres singes comme eux étaient devenus humains, mais qu’ils étaient aussi devenus méchants, cruels, qu’ils passaient leur temps à s’entre-tuer, ils ont refusé de se faire hommes. C’est peut-être ça le péché originel dont parle tout le temps le père Herménégilde: quand les singes sont devenus des hommes!

Evaluation :

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