vendredi , 19 avril 2024

Le motel du voyeur

Auteur: Gay Talese

Editeur: Les Editions du Sous-sol – 2016 (256 pages)

Lu en octobre 2017

Mon avis: Lecteur, es-tu voyeur ?
Si tu es fan de téléréalité et/ou, si tu as plus de 20 ans et que tu soupirais d’aise en t’installant devant l’émission Strip-tease*, si tu ressens un mélange de fascination-identification-répulsion, de pitié et de moquerie envers les protagonistes de ces racolages télévisuels, alors tu seras conquis par ce « Motel du voyeur », récit de la vie trépidante de l’authentique Gerald Foos, qui se donnera en spectacle sous tes yeux ébahis.
Authentique, car ceci n’est pas un roman, c’est une enquête. Et pas menée par n’importe qui (même si personnellement je n’en avais jamais entendu parler), puisqu’elle est commise par Gay Talese, célèbre journaliste new-yorkais, l’un des fondateurs, dans les années 60, du « nouveau journalisme » (càd un journalisme empruntant certaines techniques de narration à la littérature).
Or donc, par un froid matin de janvier 1980, Gay Talese reçoit une lettre anonyme d’un obscur propriétaire de motel dans le Colorado. Ledit propriétaire lui révèle être un voyeur obsessionnel et avoir aménagé son motel de façon à pouvoir observer, à leur insu, les ébats (amoureux ou non, en tout cas sexuels) de certains de ses clients. Et Mister Glauque de se considérer, sans prétention aucune, comme un (pseudo) sexo-sociologue analysant et transcrivant avec une méthode tout ce qu’il y a de plus empirique, les pratiques sexuelles des gens ordinaires, et leur évolution. Oui, évolution, parce que Monsieur observe déjà depuis plus de 10 ans, sans jamais s’être fait prendre. Tout ceci attise bien sûr l’intérêt de Gay Talese, qui décide de rencontrer son interlocuteur, Gerald Foos, donc. Celui-ci refuse que son nom ou celui de ses clients soient révélés (rapport à la réputation de son motel, hein, quand même), Talese, fidèle à ses principes, refusant alors de publier quoi que ce soit s’il ne peut citer aucun nom. Fin de l’histoire ? Non, le journaliste reste en contact avec Foos pendant plus de 30 ans, au fil desquels celui-ci lui révélera avoir assisté, depuis sa cachette, à un meurtre dans l’une des chambres du motel, mais n’avoir rien dit à la police par crainte de voir son « hobby » dévoilé. Il lui expliquera également que ses deux épouses successives ont accepté son vice le plus naturellement du monde, y participant même à l’occasion. Et puis un jour (sans quoi vous n’auriez pas cette chronique sous les yeux), Foos autorise Talese à rendre son histoire publique.

En dehors de l’écoeurement causé par ce procédé infect et malsain qui consiste à se repaître de l’intimité des autres sans leur consentement, je m’interroge encore sur les motivations respectives de Foos et de Talese. Foos d’abord : en admettant qu’il souffre de ce vice obsessionnel, qui d’après lui remonte à l’adolescence, pourquoi décide-t-il de se confier à un journaliste ? Besoin de reconnaissance ? Génie incompris de l’observation de ses contemporains ? Dans ce cas, pourquoi exige-t-il l’anonymat pendant si longtemps ? La prescription du meurtre ? Mais aucun cadavre ni même aucune disparition n’ont jamais été signalés. Une démarche scientifique ? Là c’est carrément risible : l’énumération de « cas » n’a guère d’intérêt, en plus d’être ennuyeuse à mourir. J’en conclus que Foos est un pauvre type qui, bien qu’heureux en ménage, a besoin de prendre son pied en zyeutant les galipettes des autres et qui se fait mousser en invoquant une étude de moeurs. Quant à Talese : s’estimant lié à Foos par un accord de confidentialité pendant 35 ans, il en devient le complice, à tout le moins le « voyeur du voyeur ». Au point qu’il se sent obligé de se justifier en long et en large au fil du bouquin, et se permet même le luxe de jeter un écran de fumée, se demandant si après tout, tout ça est bien vrai, vu quelques approximations de dates dans le récit de Foos. Son intérêt à lui ? Le scoop du siècle ? Était-il certain dès le départ de convaincre Foos de publier son histoire ? Ou bien est-elle inventée de toutes pièces ?
Parce que c’est ça, le résultat : tout cela m’a paru tellement invraisemblable que, malgré les photos et les lettres reproduites dans le livre et quelques traces dans les moteurs de recherche, j’ai la sensation d’une mystification, et j’ai toujours du mal à croire à l’existence de ce voyeur de Gerald Foos.
Lecteur, seras-tu le voyeur du voyeur du voyeur ?

*https://fr.wikipedia.org/wiki/Strip-tease_(émission_de_télévision)

Présentation par l’éditeur:

Le 7 janvier 1980, Gay Talese reçoit à son domicile new-yorkais une lettre anonyme en provenance du Colorado. Le courrier débute ainsi : « Je crois être en possession d’informations importantes qui pourraient vous être utiles. » L’homme, Gerald Foos, confesse dans cette missive un secret glaçant : voyeur, il a acquis un motel à Denver dans l’unique but de le transformer en « laboratoire d’observation ». Avec l’aide de son épouse, il a découpé dans le plafond d’une douzaine de chambres des orifices rectangulaires de 15 centimètres sur 35, puis les a masqués avec de fausses grilles d’aération lui permettant de voir sans être vu. Il a ainsi épié sa clientèle pendant plusieurs décennies, annotant dans le moindre détail ce qu’il observait et entendait – sans jamais être découvert. A la lecture d’un tel aveu, Gay Talese se décide à rencontrer l’homme. Au travers des notes et des carnets du voyeur, matériau incroyable découpé, commenté et reproduit en partie dans l’ouvrage, l’écrivain va percer peu à peu les mystères du Manor House Motel. Le plus troublant d’entre eux : un meurtre non résolu, digne d’une scène de Psychose, auquel le voyeur assisterait, impuissant.
Le voyeur exige l’anonymat; l’écrivain, soucieux de toujours livrer les véritables identités de ses personnages, s’en tient aux prémices de son enquête. Trente-cinq ans plus tard, Gerald Foos se décide à rendre publique sa machination et Gay Talese peut enfin publier ce livre dérangeant et fascinant.

Le Motel du Voyeur interroge aussi, à travers la figure de Gerald Foos, étrange double pervers de l’auteur, la position du journaliste qui scrute le réel en observateur – en voyeur. Au-delà du fait divers, cette plongée hallucinante dans la psyché américaine, parcourt une sociologie criminelle des moeurs, et s’avère être le plus parfait des romans noirs, à mi-chemin du chef-d’oeuvre de Truman Capote « De sang-froid » et du « Journaliste et l’Assassin » de Janet Malcolm. Gênant, passionnant, troublant, autant le dire, roman ou enquête, vous n’avez jamais lu un tel livre.

Evaluation :

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2 commentaires

  1. Beurk ! Pas du tout envie de lire ce genre de… de quoi d’ailleurs ?