Pendant que le formateur nous récitait son blabla sur « l’intelligence émotionnelle dans la communication », j’observais les autres participants.
Je ne connaissais personne. Nous étions à peine une douzaine, assis autour de tables disposées en carré, certains étaient attentifs, d’autres, comme moi, avaient du mal à cacher leur ennui.
Mon regard s’arrêta sur un homme, assis dans un angle. Il avait les yeux posés sur son syllabus, puis, comme s’il avait senti que je l’observais, il releva la tête et la tourna dans ma direction. Cela dura une seconde à peine, mais cela suffit pour que je voie ses yeux rougis, avant qu’il ne repique du nez sur son document.
Sans que j’aie eu le temps de réfléchir, une question réflexe s’afficha dans mon cerveau : « ça pleure, un homme ? » Et aussi instantanément, la réponse fusa dans mon esprit : « mais oui, bien sûr, c’est quoi ce cliché ? »
Je me demandai alors s’il pleurait vraiment, ou s’il avait simplement les yeux irrités, une allergie, une conjonctivite, une poussière dans l’oeil, une lentille de contact mal placée,…
En l’observant mieux, je constatai qu’il gardait obstinément la tête baissée, qu’il avait les bras et les jambes croisés, qu’il était assis tassé sur lui-même au fond de son siège, tout un langage non verbal qui disait : « ne me regardez pas, ne me demandez rien, laissez-moi tranquille, oubliez-moi ».
Evidemment, c’est à lui que le formateur posa une question. L’homme releva la tête, se redressa sur son siège, posa les avant-bras sur la table, il avait toujours les yeux rouges. Il répondit doucement mais d’un ton sans appel qu’il ne connaissait pas la réponse, et retourna dans sa coquille.
J’avais eu le temps de voir ses mains tremblantes, ses yeux brillants et peut-être même la trace d’une larme mal séchée sur sa joue. Le formateur interrogea quelqu’un d’autre, et je continuai à me perdre en conjectures : l’homme avait-il appris une mauvaise nouvelle avant d’arriver, était-ce un deuil, une rupture, une maladie, un accident, un espoir déçu, une tristesse, une solitude tout à coup insupportable, le poids de la vie, celui du monde ?
C’était bientôt l’heure de la pause, et j’étais décidée à essayer de lui parler.
A peine le formateur avait-il projeté le dernier slide de sa présentation PowerPoint que l’homme se leva et quitta la salle. Je me dis qu’il était sans doute allé aux toilettes, et que je l’aborderais plus tard à la machine à café.
Mais il ne revint jamais, et son syllabus resta ouvert sur la table.
Tableau: « Tristesse » – Christophe Dikant (2017)