vendredi , 10 mai 2024

Ravage

Auteur: René Barjavel

Editeur: Denoël – 1943 (288 pages)/Folio – 1972 (320 pages)

Lu en mars 2023

Mon avis: Imaginez un monde où tout, absolument tout, fonctionne à l’électricité, des moyens de transport à la production d’eau et de nourriture. Seuls certains, dans les zones les plus reculées, vivent encore « à l’ancienne », en autarcie, travaillant la terre et élevant quelques animaux.
Bienvenue en l’an de grâce 2052, tel que pensé par Barjavel 110 ans plus tôt.

Imaginez maintenant, dans ce monde merveilleux, une panne d’électricité. Pas une petite coupure d’une heure ou deux, pas une baisse temporaire de tension sur le réseau, non, une panne générale et définitive. C’est purement et simplement l’apocalypse. Plus moyen de se déplacer de façon motorisée, bientôt plus rien à boire ni à manger, les avions s’écrasent sur les immeubles, les trains ne freinent plus. Et bien sûr, débandade des autorités, émeutes, pillages, agressions, guérillas urbaines, violences, morts. Puis, la canicule aidant (une prémonition du changement climatique?), incendies dévastateurs et épidémie de choléra se répandent à travers un pays en grande partie urbanisé.
Pour un petit groupe de survivants mené par François, jeune homme d’origine paysanne, la seule échappatoire est l’exode vers le village de ses parents, à supposer qu’il existe encore.
Récit apocalyptique et post-apocalyptique de la catastrophe puis du long calvaire de la petite troupe de François, à travers mille dangers et dans le plus profond dénuement matériel et moral, sur le chemin d’une hypothétique Terre promise, « Ravage » est une dystopie brutale et sanglante, dans laquelle la loi du plus fort l’emporte largement sur toute morale, la survie du groupe étant la seule option, quoi qu’il en coûte.
Ce n’est pas très reluisant et cela ne rend pas François très sympathique, mais bien malin qui pourrait jurer qu’il se comporterait différemment dans la même situation.
L’univers créé par Barjavel est visionnaire, et ce qui était de la pure anticipation en 1943 s’est en partie réalisé aujourd’hui, les intelligences artificielles en moins.
Barjavel met en garde contre le « tout à la technologie », et cela n’est pas blâmable, me semble-t-il. Mais de là à envisager comme remède un « retour à la terre » moyenâgeux, patriarcal et autoritaire dans lequel les femmes sont réduites à leur fonction de mères et sont priées de « servir » à plusieurs hommes, et dans lequel les livres ne sont accessibles qu’à l’élite, merci, mais non merci. A cet égard, le dernier chapitre est nauséeux et n’est plus « lisible » aujourd’hui. Je ne sais pas s’il reflète les convictions profondes de Barjavel ou s’il correspond aux moeurs de l’époque (en tout cas en ce qui concerne la place des femmes dans la société) et/ou du contexte de la guerre et de l’Occupation, ou encore si c’est une satire. Et je n’ai pas compris non plus l’intérêt des épisodes (aux relents racistes) dans lesquels intervient l’empereur noir Robinson.
« Ravage » est certes un roman remarquable par sa créativité et son inventivité (et sa crédibilité a posteriori sur son volet technologique). L’avertissement contre les dérives du « progrès » est louable et nécessaire. Mais, à moins qu’il ne s’agisse d’un second degré qui m’a échappé, l’issue proposée en 1943 par Barjavel met fort mal à l’aise aujourd’hui.

Présentation par l’éditeur:

– Vous ne savez pas ce qui est arrivé? Tous les moteurs d’avions se sont arrêtés hier à la même heure, juste au moment où le courant flanchait partout. Tous ceux qui s’étaient mis en descente pour atterrir sur la terrasse sont tombés comme une grêle. Vous n’avez rien entendu, là-dessous? Moi, dans mon petit appartement près du garage, c’est bien un miracle si je n’ai pas été aplati. Quand le bus de la ligne 2 est tombé, j’ai sauté au plafond comme une crêpe… Allez donc jeter un coup d’œil dehors, vous verrez le beau travail!

Evaluation :

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