Auteur: Bernard Malamud
Editeur: Seuil – 1967/Payot et Rivages (poche) – 2015 (427 pages)
National Book Award et Prix Pulitzer fiction 1967
Lu en mars 2025
Mon avis: Yakov Bok, ouvrier réparateur très pauvre, quitte son shtetl natal et part s’installer à Kiev. Il aspire à une vie meilleure, et donc à un travail décent. Mais dans la Russie tsariste du début du 20ème siècle, les temps sont rudes pour les Juifs.
Une nuit d’hiver, la chance (si l’on peut dire) semble sourire à Yakov, qui sauve la vie d’un homme. Pour le remercier, celui-ci lui propose un travail dans la briqueterie qui lui appartient. Yakov hésite : il s’est aperçu que l’homme fait partie d’un mouvement d’extrême droite antisémite et ignore que Yakov est Juif. Yakov finit par accepter l’offre, en espérant pouvoir continuer à cacher ses origines. Mais peu à peu ses collègues ont des doutes, se méfient. Et quand un enfant est découvert assassiné dans les environs, Yakov est rapidement accusé de « meurtre rituel ». Il sera emprisonné deux ans et demi dans l’attente de son acte d’accusation puis de l’ouverture de son procès. Pendant cette période, il connaîtra les pires privations, humiliations, sévices, tortures, la maladie et le désespoir. Il tient le coup grâce à ce qu’il se rappelle de la pensée de Spinoza, qu’il avait lu en autodidacte, mais aussi à son obstination à faire éclater la vérité et à refuser toute compromission avec les autorités, qui cherchent une raison « légitime » de déclencher un pogrom.
Parce que c’est bien plus qu’un procès criminel et le sort d’un homme qui se jouent. Yakov Bok est le bouc émissaire parfait d’une sorte de complot, monté de toutes pièces, qui veut attirer l’attention du bon peuple russe sur les soi-disant ignominies commises de tous temps par les Juifs, pour inciter à la haine et masquer la débâcle dans laquelle le régime tsariste s’embourbe de plus en plus profondément.
Et dans le contexte de l’époque, ce n’est pas très difficile. Depuis longtemps, les croyances et les superstitions les plus absurdes courent sur le dos des Juifs, et sont encore renforcées, à l’occasion du procès de Yakov, à coup de « preuves » toujours plus délirantes. On ne se gêne pas non plus pour corrompre à tour de bras, recueillir de faux témoignages plus vrais que nature, et de manière générale, pour éliminer toute tentative d’obstruction à une enquête plus que partiale. Bref une parodie de justice parfaitement scandaleuse et éhontée. Mais le pouvoir est autoritaire et cadenasse toute possibilité pour Yakov de se défendre de manière contradictoire.
Inspiré d’un fait réel, et rappelant fortement l’affaire Dreyfus, ce roman est écrit du point de vue du seul Yakov. Comme lui, le lecteur ignore à peu près tout de ce qui se passe hors de sa prison, et n’aura connaissance que par bribes de l’évolution de l’enquête et des troubles politiques qu’elle provoque dans la société russe. Ce parti pris nous fait ressentir d’autant plus l’isolement et les souffrances de Yakov, et l’incroyable force de caractère d’un homme qui, pour comble, ne se sent pas véritablement juif.
Un roman révoltant, oppressant, puissant.
Présentation par l’éditeur:
Yakov Bok quitte son village et s’installe à Kiev. Il aspire à une vie meilleure : un travail, un avenir, du temps pour lire ou pour rêver. Lorsqu’un enfant est découvert assassiné, cet homme comme les autres devient le coupable idéal. Car dans la Russie de Nicolas II, Yakov est d’abord un Juif.
L’Homme de Kiev plonge dans les racines du mal, recréant l’Europe vacillante des tsars. Au- delà de la fable morale, Bernard Malamud a écrit un éblouissant roman sur la condition humaine, un chef-d’oeuvre qui le place aux côtés de Franz Kafka ou Joseph Roth.