Auteur: Claudia Piñeiro
Éditeur: Actes Sud – 2017 (256 pages)/ Babel – 2020 (272 pages)
Lu en juin 2021
Mon avis: Mary Lohan, la cinquantaine, rousse aux yeux foncés, embarque sur un vol New York – Buenos Aires. Elle retourne dans son pays natal vingt ans après l’avoir quitté, après avoir fui un drame qui, faute d’une chance minuscule, n’a pas pu être évité, et dont elle est responsable.
A l’époque, Mary s’appelait Marilé Lauría, était blonde aux yeux bleus et vivait dans une banlieue huppée de Buenos Aires, fréquentant des familles dont les enfants sont inscrits à St-Peter, collège chic et privé.
Aujourd’hui, c’est précisément à St-Peter que Mary est envoyée, pour une mission professionnelle qu’elle n’a pas vraiment cherchée, mais pas vraiment évitée non plus. Chance ou malchance minuscule, elle l’ignore encore. Ce qu’elle sait, c’est qu’elle est anxieuse, désirant et redoutant à la fois d’être reconnue malgré sa nouvelle apparence et ses lentilles de contact colorées. Elle craint, en même temps qu’elle souhaite, de croiser un homme en particulier, d’être obligée ou d’avoir envie de lui rendre des comptes.
Peu à peu, Mary/Marilé raconte son histoire, sa jeunesse, son mariage, sa vie paisible et vaguement ennuyeuse, jusqu’à la tragédie qu’elle a provoquée involontairement. Victimes et « coupable » vivant dans le même microcosme, l’atmosphère devient rapidement irrespirable pour Marilé, ostracisée par son entourage et son mari, tous odieux et hypocrites. Elle ne reçoit aucun appui, elle est seule au monde, ou presque. Mais s’il n’y avait que ça, elle pourrait le supporter. Mais sa seule présence risque de causer la souffrance de quelqu’un d’autre, alors elle part, brisée. Et si elle ne rompt pas tout à fait et revient à Buenos Aires aujourd’hui, c’est parce que dans sa fuite à l’époque, elle a pu compter sur la gentillesse d’un inconnu, rencontré par la grâce d’une chance minuscule.
Et si elle ne s’était pas mariée, et si elle avait acheté une nouvelle voiture, et si le collège, et si la récompense, et si quelques minutes de retard, et si, et si…
Les causes, les conséquences, leur enchaînement sans fin: avec des si, l’éventail des vies à vivre et des histoires à raconter est infini. Mais il y a toujours un choix à faire ou ne pas faire, qui condamne les autres possibilités, pour le meilleur ou le pire, mieux vaut peut-être ne pas savoir. Se retourner sur le passé ne le changera pas, mais il n’est peut-être jamais trop tard pour essayer de (se) réparer. C’est ce que Mary va tenter de faire, et au final peu importe qu’elle agisse consciemment ou poussée dans le dos par le destin.
Le hasard, la chance, la culpabilité et la résilience sont les thèmes de ce roman, avec en creux une critique de la riche bourgeoisie de Buenos Aires, comme dans « A toi » et « Les veuves du jeudi », précédents romans de C. Piñeiro. Mais ce roman-ci n’a rien de joyeux, il n’est que drame et douleur, n’empêche qu’il est magnifiquement écrit, sa construction chronologique parfaitement maîtrisée, et l’anecdote récurrente du train, chaque fois plus complète, est une trouvaille ingénieuse, qui installe un suspense de mauvais augure.
Il se dégage beaucoup d’émotion et de sensibilité de ce roman majuscule, quelle chance (pas minuscule) de l’avoir lu.
Présentation par l’éditeur:
Marilé Lauría, trentenaire blonde aux yeux clairs, vit dans une banlieue huppée de Buenos Aires. Elle a épousé un chirurgien, habite une résidence cossue, et fréquente les parents qui, comme elle, confient leur progéniture au sélect collège privé de la ville. Jusqu’au drame qui rebat les cartes de cette existence futile et fait basculer sa vie. La voilà condamnée à fuir.
Vingt ans plus tard, Mary Lohan, une quinquagénaire rousse aux yeux de jais quitte Boston pour l’Argentine, où l’appelle une mission professionnelle. Au terme du voyage : une petite ville qu’elle ne connaît que trop bien, le souvenir cuisant d’une faute jugée impardonnable qui l’a poussée à partir et un homme qu’elle craint par-dessus tout de rencontrer.
Probablement aussi la chance majuscule de pouvoir enfin “réparer” la femme rompue.
Cette poignante comédie dramatique explore les liens du sang, la culpabilité et les épouvantables ou merveilleuses facéties du hasard.
Quelques citations:
– …les gens qui dépendent de la gentillesse des inconnus en dépendent parce qu’ils sont seuls au monde. Même si, dans les faits, ils sont effectivement entourés. Si quelqu’un dépend de la gentillesse d’un inconnu, c’est que ceux qui l’entourent ne sont pas des gens sur lesquels il a pu compter.
– C’est dans le décodage du discours de l’autre que nous commettons les pires erreurs, lorsque nous comblons les vides en cherchant à interpréter ce qu’a voulu dire celui qui en fait n’a rien dit du tout.