mardi , 19 mars 2024

Neuf nuits

Auteur: Bernardo Carvalho

Editeur: Métailié – 2005 (188 pages)

Lu en novembre 2018

Mon avis: En 2001, Bernardo Carvalho, l’auteur-narrateur, lit par hasard un article de journal sur le suicide, en 1939, d’un jeune ethnologue américain au fond de l’Amazonie brésilienne. Avant de se tuer, Buell Quain a écrit quelques lettres fébriles, mais qui n’expliquent pas clairement les raisons de son geste. Intrigué, puis rapidement obsédé par ce mystère, Carvalho décide d’enquêter. Plus de 60 ans après le drame, la tâche est ardue, les rares témoins directs peu fiables, mais il parvient à rassembler quelques photos, à accéder à des archives, à des correspondances, des témoignages indirects, et même au contenu de certaines lettres écrites par Quain. Tous ces indices semblent s’accorder sur le fait que le jeune homme était névrosé, dévoré par ses démons intérieurs et la solitude, sans espoir de salut. Mais ils ne permettent pas d’expliquer les raisons profondes de ce mal-être. A chaque fois que Carvalho s’approche du nœud de l’énigme, les révélations qu’il obtient sont décevantes. Il croit que la clé se trouve dans une des lettres – introuvable – écrites par Buell Quain juste avant de se tuer. La vérité lui échappe, les certitudes sont en définitives peu nombreuses au milieu d’hypothèses et de conjectures invérifiables.

Que voilà un livre étrange, pour une histoire qui l’est tout autant. A la fois oeuvre de non fiction et biographie (Quain a existé) et roman (on ne sait pas jusqu’à quel point l’auteur romance son récit), « Neuf nuits » nous livre aussi des éléments de l’enfance de l’auteur et de la vie de son père, qui font écho à celle de Quain et qui expliqueront in fine l’obsession de Carvalho pour cette histoire. Ce texte n’est pas des plus faciles d’accès, en raison de sa construction qui épouse parfaitement les étapes de l’enquête, faite de tours et détours, de contradictions, de progression chaotique ouvrant toujours sur plus de questions et de doutes. On ressent la confusion et la frustration de l’auteur, et après l’avoir terminé, on se dit qu’il faudrait le relire pour s’assurer de n’avoir raté aucun indice. Complexe mais captivant.

Présentation par l’éditeur:

En août 1939, l’anthropologue nord-américain Buell Quain se suicide au cours d’un de ses séjours chez les Indiens Kraho, en Amazonie. Il avait 27 ans, venait de recevoir une lettre qu’il a brûlée et en a laissé quelques autres. Les circonstances exactes du suicide n’ont jamais été élucidées.

Obsédé par cette information, l’auteur commence une enquête. Un impressionnant réseau de coïncidences s’accumule autour de lui au fur et à mesure qu’il progresse, se mêlant au souvenir de son père qui commerçait avec les Indiens de ces régions où il emmenait le petit garçon pendant les vacances scolaires.

En contrepoint, on peut lire les lettres d’un ami de Buell Quain, témoin de son désespoir. Il y révèle les contradictions et les désirs d’un homme seul sur un territoire étranger, confronté à ses propres limites ainsi qu’à une altérité absolue. Le lecteur ne peut éviter la référence au Conrad du Cœur des ténèbres.

Dans un style lumineux, ce roman exceptionnel est construit en une série de glissements constants entre fiction, invention, souvenirs et réalité. Ses personnages, prisonniers des circonstances, entretiennent des liens précaires et névrotiques avec une réalité imprévisible.

Une citation:

– …ses yeux remplis de ce qu’il avait vu en parcourant le monde, la mort d’un voleur sous le fouet dans une ville en Arabie, la terreur d’un petit garçon opéré par son père, la confiance de ceux qui lui demandaient de les emmener avec lui où qu’il aille, comme s’ils attendaient qu’il les sauve. Il m’a dit que personne ne peut imaginer la tristesse et l’horreur d’être pris pour une planche de salut par quelqu’un qui préfère s’abandonner sans défense au premier venu, lequel est peut-être un prédateur, plutôt que de rester là où il est.

Evaluation :

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