jeudi , 25 juillet 2024

La promesse de l’aube

Auteur: Romain Gary

Editeur: Folio – 1973 (456 pages)

Lu en avril 2020

Mon avis: Une femme, un enfant.
Une mère, son fils, un amour insensé et une promesse faite à l’aube de la vie : « Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, Ambassadeur de France ».

Une promesse tenue, faut-il le dire, puisque Romain Gary sera héros de guerre, grand écrivain, consul de France.

« La promesse de l’aube » est donc cette histoire de l’amour vertigineux d’une mère pour son fils, qu’elle élève seule, souvent dans la pauvreté, d’abord en Pologne puis en France, à Nice, dans le seul et unique but d’en faire un Grand Homme. Un amour fou, colossal, infini, extravagant, théâtral, envahissant, exclusif, écrasant pour tout dire, mais profond et sincère. Avec un tel poids, une telle pression sur les épaules et sur son avenir, l’enfant puis l’adolescent aurait pu se rebeller, tout prendre à contre-pied, fuir, mais non. Lucide face au rouleau compresseur de la volonté de sa mère, l’amour tout aussi puissant qu’il lui porte l’empêche de la décevoir, de lui faire faux bond en se contentant d’une vie médiocre ou même banale. Dès l’enfance il assume son rôle et ne cessera de chercher en lui le talent, le don, qui lui permettra de venir déposer aux pieds de sa mère les trophées, les galons, les décorations qu’il aura gagnés, en compensation de ses sacrifices: « … puisque je me savais promis à des sommets vertigineux, d’où j’allais faire pleuvoir mes lauriers, en guise de réparation. Car j’ai toujours su que je n’avais pas d’autre mission; que je n’existais, en quelque sorte, que par procuration; que la force mystérieuse mais juste qui préside au destin des hommes m’avait jeté dans le plateau de la balance pour rétablir l’équilibre d’une vie de sacrifices et d’abnégation. […] Je ne pouvais voir le visage désemparé de ma mère sans sentir grandir dans ma poitrine une extraordinaire confiance dans mon destin. Aux heures les plus dures de la guerre, j’ai toujours fait face au danger avec un sentiment d’invincibilité. Rien ne pouvait m’arriver, puisque j’étais son happy end. Dans ce système de poids et mesures que l’homme cherche désespérément à imposer à l’univers, je me suis toujours vu comme sa victoire« .

Une quête qui mènera Gary à s’engager dans l’armée de l’air, à suivre l’appel de De Gaulle le 18 juin 1940, au service d’une certaine idée de la France que lui a inculquée sa mère, une patrie faite de liberté et de fraternité. L’homme est touchant, imprégné de ces idéaux et d’autant plus déstabilisé quand ils ne s’accordent pas à la réalité. A la fois optimiste et un peu désespéré, Gary n’a de cesse de se surpasser, de prendre de la hauteur pour atteindre un inaccessible seuil d’idéal et d’absolu, dont il sait pourtant qu’il n’existe que dans l’amour que sa mère lui voue.

C’est une histoire magnifique, incroyable, lumineuse, émouvante et qui vous emporte par son écriture éblouissante de justesse, pleine d’humour et d’autodérision, d’amour, de tendresse, de chaleur et d’humanisme. Sublime.

« Je serais désolé si on concluait de tout ce qui précède que je n’ai pas été un homme heureux. Ce serait là une erreur tout à fait regrettable. J’ai connu et je connais encore, dans ma vie, des bonheurs inouïs. […] Je reste là, au soleil, le cœur apaisé, en regardant les choses et les hommes d’un œil amical et je sais que la vie vaut vraiment la peine d’être vécue, que le bonheur est accessible, qu’il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner à ce qu’on aime avec un abandon total de soi« .

Présentation par l’éditeur:

« -Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es !
Je crois que jamais un fils n’a haï sa mère autant que moi, à ce moment-là. Mais, alors que j’essayais de lui expliquer dans un murmure rageur qu’elle me compromettait irrémédiablement aux yeux de l’Armée de l’Air, et que je faisais un nouvel effort pour la pousser derrière le taxi, son visage prit une expression désemparée, ses lèvres se mirent à trembler, et j’entendis une fois de plus la formule intolérable, devenue depuis longtemps classique dans nos rapports :
– Alors, tu as honte de ta vieille mère ? »

Quelques citations:

– Il n’est pas bon d’être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ca vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c’est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d’amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n’y a plus de puits, il n’y a que des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de l’aube, une étude très serrée de l’amour et vous avez sur vous de la documentation. Partout où vous allez, vous portez en vous le poison des comparaisons et vous passez votre temps à attendre ce que vous avez déjà reçu.

  • A quarante-quatre ans, j’en suis encore à rêver de quelque tendresse essentielle.

– Je voulais lui dire surtout qu’il n’y avait rien que mon amour ne pût accomplir pour elle, sauf une chose, sauf renoncer à ma vie d’homme, à mon droit d’en disposer comme je l’entendrais. Mais à mesure que l’émotion et les pensées contradictoires se bousculaient dans ma tête, il m’apparut qu’en un sens je m’efforçais de me débarrasser d’elle, de son amour envahissant, de l’accablant poids de sa tendresse. J’avais mille fois le droit de me rebeller et de lutter pour mon indépendance mais je ne savais plus très bien où finissait la légitime défense et où commençait la dureté.

– Ce que je veux dire, c’est qu’elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n’ai jamais su où aller depuis.

Evaluation :

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