Auteur: Italo Calvino
Editeur: Seuil – 1981 (276 pages)/Folio – 2015 (400 pages)
Lu en mars 2024
Mon avis: C’est l’histoire d’un Lecteur qui commence à lire le dernier roman d’Italo Calvino, intitulé « Si par une nuit d’hiver un voyageur », mais qui réalise, au bout du premier chapitre, que son exemplaire souffre d’un problème d’édition. Il retourne à la librairie pour se plaindre, choisit un autre livre en échange, et rencontre une Lectrice qui a eu le même problème que lui. Chacun de son côté entame ce deuxième roman et, rebelote, à nouveau un problème d’impression, etc etc…
Au total, on découvre ainsi dix récits, ou plutôt dix débuts de romans qui s’arrêtent chaque fois abruptement. Entre chacun d’eux, douze chapitres « fil rouge » dans lesquels on suit Lecteur et Lectrice, qui vont de découvertes en péripéties entre maison d’édition et séminaire universitaire, et rencontrent des professeurs, des traducteurs, des plagiaires et des faussaires aux quatre coins du monde.
« Si par une nuit d’hiver un voyageur » n’est donc pas un roman, mais un livre fait de fragments de romans, mais aussi de mises en abyme vertigineuses, d’imaginaire kaléidoscopique et de réflexions parfois visionnaires sur tous les plaisirs, métiers et dérives liés au livre : lecture, écriture, traduction, inspiration, plagiat, censure.
Un livre de livres, un méta-livre, une démonstration de style virtuose, à laquelle Italo Calvino a manifestement pris du plaisir, s’amusant à balader le Lecteur et la Lectrice, mais aussi les lecteurs et lectrices qui ne se trouvent pas entre les pages de son livre mais le tiennent dans leurs mains.
La question fondamentale : le lecteur, en l’occurrence la lectrice que je suis, a-t-elle pris autant de plaisir à cette lecture que l’auteur ?
La réponse, vaguement honteuse vu l’engouement majoritaire : non, ou très peu. Le début était emballant, mais mon enthousiasme s’est très vite éteint pour se transformer en ennui profond. J’ai tout lu, jusqu’au bout, même si je me demandais à quoi bon lire ces débuts de récits dont je ne connaîtrais jamais la fin.
Trop intellectuel et cérébral pour moi (et pourtant c’est ce que je cherche dans mes lectures : nourrir mon cerveau), ce livre est certes un tour de force, mais il n’a suscité chez moi que des émotions négatives, entre ennui et frustration. Un exercice de style dont le sens et l’intérêt m’ont échappé, brillant mais pas séduisant.
Présentation par l’éditeur:
Vous, Lecteur, vous, Lectrice, vous êtes le principal personnage de ce roman, et réjouissez-vous : c’est non seulement un des plus brillants mais aussi un des plus humoristiques qui aient été écrits dans ce quart de siècle. Vous allez vous retrouver dans ce petit monde de libraires, de professeurs, de traducteurs, de censeurs et d’ordinateurs qui s’agitent autour d’un livre. Vous allez surtout vous engager dans des aventures qui vous conduiront chaque fois au point où vous ne pourrez plus retenir votre envie d’en savoir davantage, et là, ce sera à vous de continuer, d’inventer. Bon voyage.
Quelques citations:
– On m’attendait depuis un moment, depuis que j’avais télégraphié de Suisse que j’étais parvenu à convaincre le vieil auteur de thrillers de me confier le début du roman; un début qu’il n’arrivait pas à continuer et que nos ordinateurs seraient en mesure de compléter facilement, programmés comme ils sont pour développer chacun des éléments d’un texte avec une fidélité parfaite aux modèles stylistiques et conceptuels de l’auteur.
– Elle m’a expliqué qu’un ordinateur dûment programmé peut lire un roman en quelques minutes et dresser la liste de tous les vocables contenus dans le texte, par ordre de fréquence.
« Je dispose ainsi tout de suite d’une lecture complètement achevée, m’a-t-elle dit, c’est une économie de temps inestimable. Qu’est-ce en effet que la lecture d’un texte, sinon l’enregistrement de certaines récurrences thématiques, de certaines insistances dans les formes et les significations? La lecture électronique me fournit une liste des fréquences qu’il me suffit de parcourir pour me faire une idée des problèmes que le livre pose à une étude critique. […] Je vais directement aux mots les plus riches de sens, à ceux qui peuvent me donner du livre une image précise, au moins relativement. […]
« Dans un roman qui comporte entre cinquante mille et cent mille mots, expliquait-elle, je vous conseille de vous arrêter d’abord aux vocables qui reviennent une vingtaine de fois. Regardez ici. Mots qui reviennent dix-neuf fois:
araignée, aussitôt, ceinturon, commandant, dents, ensemble, fais, répond, sang, sentinelle, ta, tire, t’, vie, vu…
Mots qui reviennent dix-huit fois:
assez, beau, béret, ces, français, garçons, jusqu’à ce que, manger, mort, nouveau, passe, pommes de terre, point, soir, vais, viens…
Est-ce que nous ne voyez pas déjà clairement ce dont il s’agit? Il n’est pas douteux que c’est un roman de guerre, tout en action, à l’écriture sèche, avec une certaine charge de violence.