Auteur: John Burnside
Éditeur: Métailié (Suites) – 25 mars 2021 (204 pages)
Lu en avril 2021
Mon avis: Où se trouve le siège de l’âme ? L’âme est-elle liée au langage ? Le langage est-il inné ou acquis ? On sait que la parole (les mots, la langue, la grammaire) s’acquiert, mais n’existerait-il pas une sorte de pré-langage inné, universel, commun à toute l’humanité, qui nous aurait permis de communiquer dès la naissance, si, paradoxalement, l’apprentissage de la parole (la langue, les mots,…) ne nous l’avait pas fait oublier peu à peu ?
Des questions vertigineuses, et sans réponse, dès lors qu’il faudrait être dénué de toute éthique scientifique, de toute morale, de toute humanité enfin, pour se livrer à des expérimentations (forcément sur des cobayes humains tout juste nés) qui permettraient d’y répondre.
Mais ce que la science et la morale n’autorisent pas (en principe), la littérature le permet.
Ainsi donc, « La maison muette » raconte l’histoire d’un homme, depuis son enfance entre un père transparent et une mère dominatrice, jusqu’à sa tentative d’expérience pseudo-scientifique consistant à élever des jumeaux nouveau-nés sans aucun contact avec la parole humaine. Enfant intelligent et curieux, il a grandi avec l’idée que lui a inculquée sa mère : « une créature sans langage était une créature sans âme« . Bientôt, la question de la définition de l’âme, de sa situation, voire de sa matérialisation physique, l’obsède. Autodidacte, il n’a de cesse de compulser ouvrages d’anatomie et encyclopédies médicales, tout ce qui pourrait le mettre sur la piste. « Pour connaître l’âme, il fallait que je connaisse le langage. […] A présent, je tenais ma véritable vocation« . Et en effet, c’est avec l’acharnement d’un Prix Nobel qu’il se consacre désormais à ses recherches, puis à l’expérimentation in vivo, lorsque le hasard (ou le destin) lui offre deux jumeaux nouveau-nés. Avec acharnement, certes, mais sans aucune méthode ni rigueur scientifique, et surtout sans le moindre état d’âme, dépourvu qu’il est de la moindre empathie et de toute morale ; un sociopathe, dont les actions apparaissent cruelles et perverses, et dont je ne suis pas tout à fait certaine qu’il soit capable de distinguer le Bien du Mal.
Quoi qu’il en soit, cet homme est glacial, glaçant, et ce roman nous emmène dans son cerveau tortueux et torturé, nous le dissèque avec la précision, la froideur et la dureté métallique d’un scalpel. On se laisse emporter dans ces méandres pourtant étrangement envoûtants. C’est cela qui fait surgir le malaise, parce qu’on ne peut s’empêcher d’être fasciné par cet être atteint d’incommunicabilité pathologique avec ses semblables et qui tente de percer le secret de l’origine du langage, cet outil de communication par excellence. On comprend d’emblée que son expérience est scientifiquement absurde et fantaisiste en plus d’être d’une cruauté sans nom, et pourtant on est curieux d’en connaître le résultat. Malsain, donc, parce que si le narrateur est dépourvu d’empathie et qu’il est enfermé dans sa logique purement expérimentale, le lecteur, lui (en principe), sait que « c’est mal ». John Burnside nous révélerait-il notre part de perversité ?
Une lecture un peu éprouvante d’un texte puissant et froidement violent, qui pousse à s’interroger sur l’âme et l’humanité.
En partenariat avec les Editions Métailié.
Présentation par l’éditeur :
« Nul ne pourrait dire que ce fut un choix de ma part de tuer les jumeaux, pas plus qu’une décision de les mettre au monde. Ces événements s’imposèrent l’un et l’autre comme une nécessité inéluctable, un des fils dont est tissée la toile de ce que l’on pourrait appeler destin, faute de mot plus approprié… un fil que ni moi ni personne n’aurait pu ôter sans dénaturer le motif entier. »
Premier roman d’un auteur reconnu comme un grand poète, ce texte d’une violence clinique exceptionnelle est le récit d’une « expérimentation » sur deux enfants jumeaux élevés sans contact avec la parole humaine. La violence s’infiltre peu à peu dans le récit amoral conduit sur un ton détaché, sans recherche d’effet spectaculaire, d’une écriture précise et ciselée de poète.
Plongée dans les méandres les plus noirs de l’esprit humain, réflexion sur la perversion du pouvoir paternel, vertige du désir de la connaissance, réflexion sur le langage, un roman troublant.