jeudi , 3 octobre 2024

Le bruit du dégel

Auteur: John Burnside

Éditeur: Métailié (Suites) – 25 mars 2021 (372 pages)

Lu en avril 2021

Mon avis: « Personne ne devrait avoir honte de ce qui est nécessaire. Un père. Une mère. Un amant ou une amante. Une caresse, un mot, un corps. Du reste, longtemps, j’ai en effet regretté, allongée dans mon lit, bien éveillée, qu’il n’y ait pas quelqu’un à mes côtés. Quelqu’un à toucher. Si j’ai appris une chose, après le départ de Lee, ce fut à quel point il est important d’avoir quelqu’un qu’on peut toucher. Quelqu’un qui nous touche« .

C’est ainsi que Jean, vieille dame solitaire, s’adresse à Kate, jeune étudiante en cinéma paumée qui noie le deuil de son père dans l’alcool, la drogue et l’ennui.

Elles se sont rencontrées un jour que Kate errait au bout d’un quartier résidentiel désert, à la recherche de bonnes âmes qui accepteraient de répondre à son « enquête », menée en vue du vague projet cinématographique de son petit ami. Qu’est-ce qui l’a poussée à frapper à la porte de Jean, qu’est-ce qui a poussé Jean à lui proposer un marché : lui raconter des histoires en échange de sa sobriété ?

On ne l’apprendra qu’à la toute fin de ces 360 pages, d’une beauté et d’une tristesse qui vous serrent le cœur.

Si Jean est solitaire, d’une solitude désormais choisie pour ne rien devoir concéder de sa liberté (« …j’eus la certitude qu’elle était parfaitement seule au monde, et qu’elle se plaisait ainsi…« ), Kate, bien qu’en couple, semble tout aussi seule au monde, avec la différence qu’elle en est profondément malheureuse, perdue entre la nostalgie et les regrets.

Le marché est conclu, et respecté : Kate arrête de boire, et Jean, au travers de récits qui la concernent elle, son frère, ses neveu et nièce, son associée, tire le portrait d’un rêve américain désenchanté, où l’idéalisme et le patriotisme se sont fracassés contre le pragmatisme de la realpolitik. Toutes les guerres y passent, mondiales ou internes : la Deuxième, la froide, la Corée, le Vietnam, les luttes pour les droits civiques, les Black Panthers et le Weather Underground.

Au rythme de la préparation du thé et des beignets aux pommes, Jean explique les choix de vie et les engagements des uns et des autres, et Kate écoute, en se demandant en arrière-plan pourquoi Jean l’a choisie comme confidente, elle dont la vie est à la dérive, dépourvue de sens, qui n’a fait d’autre choix que celui de ne pas vraiment en faire.

Au fil de ces histoires, le temps s’arrête : Jean retourne dans le passé pendant que Kate met le chaos de sa vie sur pause. Raconter ces histoires, vraies ou fausses, les transmettre comme ce qu’on a de plus précieux, se libérer enfin des secrets qu’elles renferment. Les écouter, vraies ou fausses, pour s’en nourrir, se guider, se réchauffer, soigner ses blessures, revivre malgré les cicatrices.

Pour le lecteur aussi, le temps s’arrête : on respire, on lâche prise, on se retrouve un peu en Jean ou Kate, on prend un thé et un cookie, on s’en réconforte, on oublie le monde réel, puis la dernière page tournée on y revient, avec l’espoir que la réalité soit à la hauteur de la fiction, avec l’espoir de connaître un jour une telle amitié inconditionnelle, de trouver un tel baume qui apaiserait toutes les blessures.

« Le bruit du dégel » est un roman magnifique, doux et triste. Sa trame paraît banale, pourtant les personnages sont complexes, tous attachants. C’est bien plus qu’une histoire d’amitié, il y est question de transmission, d’histoire des USA, de loyauté, de sincérité, de choix et d’engagements, de solitude et de carapaces de protection.

D’ailleurs, le bruit du dégel, de la glace qui craque, ne serait-il pas le même que celui d’un cœur qui s’ouvre et fend l’armure ?

En partenariat avec les Editions Métailié.

Présentation par l’éditeur :

Kate, étudiante à la dérive, fait des « enquêtes » cinématographiques dans les rues désertées des banlieues pavillonnaires. Son père vient de mourir brutalement et elle noie son chagrin dans la défonce. Au cours d’une de ses déambulations, elle rencontre Jean, une vieille dame en pleine forme qui coupe son bois et prépare des thés délicats. Jean propose un étrange marché : elle veut bien raconter ses histoires, mais à condition que Kate cesse de boire.
Tandis que Jean déroule le mirage du rêve américain et règle ses comptes avec quelques fantômes, Viêtnam, guerre froide, mouvements contestataires, Kate affronte enfin son deuil impossible et retrouve une place dans le monde.
Avec sa prose magnétique et tendre, John Burnside rend le monde aux vivants et rappelle que seules les histoires nous sauvent.

Evaluation :

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