Editeur: Folio – 1983 (128 pages)
Lu en janvier 2017
Mon avis: Terribles et poignantes « retrouvailles » que celles de Hans Schwarz, le narrateur, avec son ami d’enfance Conrad von Hohenfels, après une « séparation » de trente ans. Difficile d’en dire plus sur le contexte de cette « réunion » (c’est le titre original anglais de ce récit) et l’utilisation de tous ces guillemets, puisque ce n’est qu’à la dernière ligne de ce court roman que cette amitié, qu’on avait cru perdue dans les affres de divergences insurmontables, révèle toute son ampleur et sa noblesse.
Mais revenons au début de l’histoire.
En cet hiver 1932, Hans, 16 ans, fils d’un médecin juif respecté de Stuttgart, est un adolescent solitaire qui traîne son ennui sur les bancs du lycée, rêvant de vivre une amitié à la hauteur de ses attentes romanesques. Un jour, ce rêve devient réalité et se matérialise par l’arrivée en classe de Conrad, issu d’une famille appartenant à la haute noblesse allemande qui se rangera bientôt aux côtés d’Hitler. Bien que venant de milieux très différents, l’un juif et roturier, l’autre chrétien et aristocratique, les deux garçons se rapprochent et se lient d’une amitié aussi intense qu’éphémère. Intense parce qu’exaltée, entière et exclusive : « (…) un ami pour qui j’aurais volontiers donné ma vie (…). Entre seize et dix-huit ans, les jeunes gens allient parfois une naïve innocence et une radieuse pureté de corps et d’esprit à un besoin passionné d’abnégation absolue et désintéressée. Cette phase ne dure généralement que peu de temps, mais, à cause de son intensité et de son unicité, elle demeure l’une des expériences les plus précieuses de la vie ». Ephémère parce qu’elle ne résistera pas aux vents mauvais de l’Histoire et de la montée du nazisme et de l’antisémitisme, qui, dès septembre 1932, poussent les deux garçons à s’éviter.
Expédié par ses parents aux Etats-Unis quelques mois plus tard, pour sa sécurité, Hans y passe les trente années suivantes, entre déception, rancoeur vis-à-vis des nazis et nostalgie du passé : « (…) plus de neuf mille journées fastidieuses et décousues, que le sentiment de l’effort ou du travail sans espérance contribuait à rendre vides, des années et des jours, nombre d’entre eux aussi morts que les feuilles desséchées d’un arbre mort ».
Qualifié de « chef-d’oeuvre mineur » par Arthur Koestler (introduction de l’édition Folio) en raison de sa brièveté et de sa tonalité nostalgique (mineure au sens musical), ce récit, qui est une autobiographie romancée, se lit en effet très vite et traduit bien les regrets du narrateur/auteur pour son Allemagne natale, douce et paisible, ses paysages, ses poètes, sa musique, sa culture, sans pour autant faire preuve de la rage et de la fureur que les circonstances auraient pourtant amplement justifiées. Le père de Hans est à cet égard un personnage particulièrement émouvant par son courage et sa dignité.
Ce récit d’une amitié rendue précaire par le contexte mais inoubliable par sa force, est empreint de mélancolie et d’une sensation de gâchis – individuel et collectif – incommensurable.
Présentation par l’éditeur :
« Je ne puis me rappeler exactement le jour où je décidai qu’il fallait que Conrad devînt mon ami, mais je ne doutais pas qu’il le deviendrait. Jusqu’à son arrivée, j’avais été sans ami. Il n’y avait pas, dans ma classe, un seul garçon qui répondît à mon romanesque idéal de l’amitié, pas un seul que j’admirais réellement, pour qui j’aurais volontiers donné ma vie et qui eût compris mon exigence d’une confiance, d’une abnégation et d’un loyalisme absolus. »
Encore un que je dois lire !
Celui-là est rapide à lire: à peine deux heures!
Un très beau et très fort souvenir de lecture…