Auteur: Juan Rulfo
Editeur: Gallimard – 1959 (154 pages)/Folio – 2009 (192 pages)
Lu en octobre 2025
Mon avis: Sur son lit de mort, la mère de Juan Preciado fait promettre à celui-ci de se rendre à Comala, son village natal, et d’y réclamer des comptes à son père, Pedro Páramo.
Juan entreprend le voyage mais, arrivé à Comala, il n’y trouve que ruines, poussière et courants d’air. Il y rencontre tout de même quelques villageois, qui lui apprennent que son père est mort. Chacun d’entre eux livre ses souvenirs à Juan, qui parvient ainsi à recomposer pièce par pièce le portrait de l’homme qui a épousé sa mère parce qu’elle était la fille du créancier de son père, le mariage permettant d’éponger les dettes à défaut de reposer sur une histoire d’amour.
Pedro Páramo s’avère être un grand propriétaire terrien de la campagne mexicaine du début du 20ème siècle. Il n’y a pas que la terre qui lui appartient : il a la mainmise sur tout ce qu’elle produit, tout ce qui la broute et tous ceux et celles qui la travaillent pour son compte. Et, en bon seigneur féodal, il s’arroge un droit de cuissage sur tout ce qui porte jupons. La négociation et le compromis ne sont pas son fort : ce que Pedro Páramo veut, il le prend par la force et la violence, et il fait ensuite régner la terreur et la tyrannie sur son territoire. Il y a ceux qui se soumettent parce qu’ils n’ont pas d’autre choix, ceux qui arrivent à fuir le village, et quelques-uns qui finissent par se rebeller dans le contexte de la révolte de Pancho Villa. Pedro Páramo n’en sortira pas vivant, mais entre-temps il aura fait beaucoup de bâtards et de mal, sans aucun remords. Son seul regret sera de ne pas avoir su conquérir le coeur de la seule femme pour qui il a éprouvé de l’amour, et qui n’a jamais rien voulu savoir. Un minimum de justice, tout de même, dans cette histoire.
Précurseur du réalisme magique, « Pedro Páramo » est un roman qui n’est pas simple d’accès et qui demande de faire fi de la rationalité. L’auteur entretient volontairement le flou, la temporalité et la réalité sont éclatées, on ne sait jamais trop à quelle époque on se trouve, si on a affaire à des vivants ou des fantômes, s’ils parlent réellement ou si ce sont des voix intérieures, si ce qui est raconté est de l’ordre du réel, du fantasme, du doute ou du rêve.
C’est flou et pourtant en s’accrochant un peu, on y voit clair, ou presque. On comprend qu’à travers le portrait de cet homme odieux, Juan Rulfo dépeint aussi un tableau psycho-sociologique de la société rurale, imbibée de foi chrétienne et de croyances indigènes, guettée par les prémices de la révolution mexicaine. La mort, les morts, le passé sont omniprésents, et se rappellent sans cesse au souvenir des vivants.
Un livre exigeant, déroutant au début, mais le challenge s’avère réjouissant. De la belle ouvrage, à relire à l’envi.
Présentation par l’éditeur:
Pedro Pdramo est l’une des plus grandes oeuvres du XX’ siècle, un classique contemporain. Tout comme Kafka et Faulkner, Rulfo a su mettre en scène une histoire fascinante, sans âge et d’une beauté rare : la quête du père qui mène Juan Preciado à Comala et à la rencontre de son destin, un voyage vertigineux raconté par un chœur de personnages insolites qui nous donnent à entendre la voix profonde du Mexique, au-delà des frontières entre la mémoire et l’oubli, le passé et le présent, les morts et les vivants.

