Un jour de pluie il est entré
Dans la librairie où je travaillais.
Comme pour tous les habitués,
J’ai pensé que la patronne s’en occuperait.
Mais cette fois il est venu vers moi
Une épaule un peu de guingois
Le pas peu assuré, comme s’il voulait reculer
Pourtant il s’est avancé, rouge, timide, hésitant
J’ai souri, l’air sûre de moi, le coeur battant.
Je savais qu’un jour un prince viendrait,
Je ne savais pas comment je le reconnaîtrais.
« Bonjour Mademoiselle, vendez-vous des dictionnaires ?
Bien sûr, lui dis-je, ils sont là, sur cette étagère.
Pourriez-vous me conseiller le plus approprié ?
Certainement, à quel usage est-il destiné ?
C’est que, voyez-vous, en ce moment je manque de mots…
Alors c’est un dictionnaire des synonymes qu’il vous faut.
Tenez, celui-ci vient tout juste de sortir.
Merci, je le prends ; grâce à lui j’arriverai à vous écrire ».
Il s’en alla, l’air ravi
Je restai là, doutant d’avoir bien compris.
Je savais qu’un jour un prince viendrait,
Je ne savais pas si avec lui il m’emmènerait.
Deux jours plus tard, le facteur m’apporta une lettre
Ainsi enfin, mon rêve se réaliserait peut-être ?
Avec urgence j’ouvris l’enveloppe bleu pâle
Quelle déception, puis quel fou rire
Devant ces mots si fades et si lisses à lire.
Je m’attendais à mieux, d’un féru de littérature
Que ces mièvreries sans aucune carrure.
Je savais qu’un jour un prince viendrait,
Je ne savais pas qu’il me déplairait.
