J’ai souvent la sensation d’être transparent.
Pas invisible. Transparent.
Ce n’est pas qu’on ne me voit pas. Mais les regards ne s’arrêtent pas sur moi. Ou si peu.
Comme si on cherchait à regarder à travers une vitre légèrement voilée par une fine couche de poussière. On se sentirait vaguement contrarié parce qu’on ne distinguerait pas nettement ce qu’il y a de l’autre côté, mais cela n’importerait pas tant que cela.
Ce qui compterait, ce serait le paysage à admirer au-delà du verre, et on aurait vite fait d’oublier ces carreaux salis. Tout en rangeant peut-être, dans un coin de son esprit, l’idée qu’il faudrait bien les laver, un jour.
Les regards me traversent et leur cécité me blesse, m’attriste, me fâche.
J’aimerais être un mur de béton armé, qui les empêcherait de passer, qu’ils seraient forcés d’observer au moins quelques instants, ne serait-ce que pour trouver le moyen de me contourner.
Un obstacle sur lequel fissurer leur indifférence, disperser leur distraction, fracasser leur précipitation.
Ils ne pourraient pas se détourner, même s’ils le voulaient. Ils seraient obligés de me prendre en considération, même si c’était pour chercher à m’esquiver, me percer, m’abattre, me détruire. Cela signifierait que j’existerais ; pour le meilleur et pour le pire je serais là, planté au milieu d’eux, inéluctable.
Mais je ne suis pas en béton armé. Je flotte, muet et prisonnier, dans un espace liquide et translucide, minuscule bulle d’air dans une coupe de champagne. Cela ne me console pas, d’être le composant indispensable d’un précieux vin pétillant.
Cela me trouble, j’aimerais être trouble, avoir une consistance, une opacité, qui ferait qu’au moins on s’interrogerait sur ma présence inopinée.
Mais à force de colère sourde et ramassée, comme une bulle j’éclate, dans le plus grand silence je m’évapore, je disparais.