A la fin de la récréation, Manon regagna sa classe.
En arrivant, elle vit que trois ou quatre élèves étaient déjà installés. Ils ne seraient pas très nombreux pour ce cours de latin, ils n’étaient plus qu’une dizaine à avoir choisi cette option en rhéto.
Manon se dirigea vers son pupitre et s’assit. Elle fouilla dans son sac à dos à la recherche de son cahier de notes. Quand elle le sortit du sac, une enveloppe s’en échappa. Perplexe, elle la ramassa et la retourna dans ses mains. Elle ne comportait aucune indication, en dehors de l’inscription « pour M. ».
Manon n’avait pas encore eu le temps de décider d’ouvrir l’enveloppe, que l’une de ses camarades de classe, qui avait vu la scène, lança un « ouhouhh, Manon a reçu une lettre de son amoureux ! » Les autres élèves ricanèrent bêtement, et Manon se figea, rougissante.
Puis le professeur entra en classe, et tous s’assirent à leur place. Manon cacha la lettre entre les pages de son cahier, et les autres semblèrent oublier l’incident aussi vite, forcés de se concentrer sur une traduction de Cicéron.
Manon avait cependant la tête ailleurs. Une lettre d’amour ? Vraiment ? Ce serait bien la première fois qu’un garçon s’intéresserait à elle. Cela devait être autre chose, mais quoi ? Une invitation à une fête ? Sûrement pas. Manon était trop transparente et pas assez populaire pour qu’on pense à l’inviter. Quoi d’autre alors ? Une blague idiote, sans doute.
Elle profita d’un moment où le prof était dos à la classe, occupé à noter quelque chose au tableau, pour reprendre l’enveloppe et l’ouvrir discrètement. Elle ne contenait qu’un seul feuillet, et seulement quelques mots : « Salut, ça fait longtemps que je te trouve très sympa, très intelligente et très belle, mais je n’ai jamais osé te le dire, alors voilà, je t’ai écrit. Si tu es d’accord, on pourrait se retrouver à la sortie des cours, près du distributeur, j’aimerais t’offrir un Coca ». C’était signé « V. ».
Manon se sentit rougir violemment, elle n’osait plus bouger ni relever la tête, elle avait l’impression que tous les regards s’étaient tournés vers elle et que, moqueurs, ils la clouaient sur sa chaise.
Qui était donc ce V. ?
C’était soit Victor, soit Vincent.
Vincent, non, ce n’était pas possible, il était inaccessible, le gars trop beau, intelligent et sympa, celui autour de qui même le soleil tournait, le leader, la force tranquille, sûr de lui, celui dont toutes les filles rêvaient, même elle, Manon, petite souris grise et timide. Un type comme lui ne pouvait décidément pas s’intéresser à une fille comme elle, il ne savait même pas qu’elle existait.
Alors c’est Victor qui devait avoir écrit cette lettre. Lui par contre, c’était plausible. Celui que personne ne regarde, qui ne dit jamais rien, moche et plein de boutons. Manon se disait qu’en plus il avait sérieusement besoin de lunettes, puisqu’il la trouvait « très belle ». Elle pensait que puisque Victor n’avait aucune chance d’arriver à sortir avec une jolie fille, il se rabattait sur elle, la seule qui ne se moquerait pas de lui, ou si elle le faisait, qui n’en dirait rien à ses amies, puisqu’elle n’avait pas d’amies.
Manon était à la fois triste et furieuse d’être considérée comme un dernier choix.
A la fin des cours, elle se rendit au lieu de rendez-vous, la lettre à la main.
Vincent s’y trouvait déjà. Quand il aperçut Manon, il eut l’air surpris, puis pâlit quand il vit ce qu’elle tenait en mains.
A la vue de Vincent, le cœur de Manon s’emballa, soudain un espoir fou…
…qui implosa lorsque Vincent lui demanda ce qu’elle faisait avec la lettre qu’il croyait avoir cachée dans les affaires de Mélanie…