Auteur: Daniel Pennac
Éditeur: Folio – 2000 (240 pages)
Lu en mai 2020
Mon avis: Cher Benjamin Malaussène,
Je vous écris le cœur serré. Je viens en effet de terminer le dernier volume de votre saga bellevillesque, en tout cas le dernier de votre jeunesse de bouc émissaire. Parce que, oui, j’ai bien ouï dire que l’auteur de vos illustres jours avait récit-divé il y a 2-3 ans de cela, non pas pour vous ressusciter (vous n’avez jamais été mort jusqu’ici, ce me semble, sauf de honte, de trouille ou d’amour), mais pour vous vieillir, vous et les vôtres, de 17 ans. Et il paraît (même si la critique n’est pas unanime) que votre flamme s’est ravivée en mode pétard mouillé davantage qu’en feu d’artifice. Déjà ce titre, « Le cas Malaussène« , quel manque de recherche ! Ceux qui vous fréquentent depuis vos débuts savent bien que s’il est un « cas » parmi vos sœurs et frères en littérature, c’est bien le vôtre ! Oui, lorsque l’on parle de cas extravagamment désespéré entre piliers de comptoirs de librairie ou entre souris chuchotantes de bibliothèque, point n’est besoin de prononcer votre patronyme pour comprendre sans l’ombre d’un doute que c’est de vous, Benjamin, dont il est question.
Mais laissons là cet avenir un peu dépassé pour en revenir au présent, et à mon petit cœur qui flanche depuis que j’ai tourné la dernière page de ce dernier opus. D’autant plus qu’il y était à nouveau question d’amour, d’amour fraternel, certes, mais aussi d’amour amoureux et même de mariage; d’autant plus que l’amoureuse en question est celle à laquelle on s’attendait le moins, celle à qui on pensait qu’aucune robe de mariée ne siérait et encore moins les feux de la passion, j’ai nommé Thérèse Malaussène, votre sœur, votre antithèse de glace et de rigidité.
Et pourtant la nouvelle ne vous a pas réjoui, loin de là. Non pas que vous soyez possessif ou jaloux, mais cette histoire avec le dénommé comte Marie-Colbert de Roberval, vous ne la sentez pas, malgré toute la conviction ésotérique que Thérèse met à vous rassurer. Aucun tarot, aucun marc de café ne réussit à vous faire croire que ce mariage sera heureux. Peut-être est-ce dû à vos traumatismes de bouc émissaire, toujours est-il que vous réussissez à vous donner des airs à la fois de piaf de mauvais augure (puisque cela se passera mal) et de dindon de la farce (puisque évidemment, c’est vous que l’on va accuser de sombres desseins). Mais heureusement qu’on vous connaît, cher Benjamin, alors on ne s’inquiète pas trop, on sait que vous finirez par tout arranger même s’il faut soudoyer la police et rameuter tout Belleville à la rescousse. Et si le seul dégât collatéral de ces mésaventures est l’arrivée d’un nouveau membre dans la tribu, eh bien, ainsi soit-il, plus on est de fous, plus on rit.
Et ce qui me brise encore un peu plus le cœur, cher Benjamin, c’est le fait de savoir que vous et vos frangin.e.s allez continuer votre vie mouvementée et haute en couleurs et en tendresse loin des yeux (certes indiscrets ou même voyeurs) de vos lecteurs. Les miens picotent un peu, d’ailleurs, sans doute le pollen. Mais bon, il paraît que c’est comme ça, la vie, toutes les bonnes choses ont une fin, même (surtout?) dans les romans. N’empêche, laissez-moi vous dire, cher Benjamin, que je vous aime (je ne le dirai jamais assez), et que vous êtes mon personnage de fiction préféré, et que les prétendants à votre succession auront fort à faire pour attirer mon attention.
Et que vous allez me manquer.
Malaussènement vôtre (à ce stade, je me permets de m’inclure dans la famille, et je vais de ce pas faire ajouter un nom sur ma carte d’identité),
Viou
PS : si par le plus grand des hasards, vous aviez un double de chair et d’os, auriez-vous l’amabilité de me l’envoyer par colis posté ?
Présentation par l’éditeur:
La tribu Malaussène et ses proches
ont le regret de vous annoncer
le mariage de Thérèse Malaussène
avec le comte Marie-Colbert de Roberval,
conseiller référendaire de première classe.
Cet avis tient lieu d’invitation.