Auteur: Jean-Luc Outers
Editeur: Editions de la Différence – 1995 (213 pages)
Lu en décembre 2024
Mon avis: C’est dans un curieux road-trip que le narrateur s’élance avec son père, paraplégique et incapable de parler et d’écrire depuis un accident cérébral. Le voyage n’a pas de destination ni de durée connues, le fils se contentant de conduire en suivant les endroits que son père pointe du doigt sur une carte routière.
Au fil des étapes, de Bruxelles à Genève en passant par Ostende, le Périgord et les Alpes, le fils réalise que ce périple tient surtout du pèlerinage, comme une tournée d’adieux du père aux personnes et aux endroits qui ont compté pour lui, on ne saura pas toujours pourquoi. Un voyage silencieux, forcément sans conversations, en dehors des amis retrouvés ou des rencontres de hasard. Dans ce quasi huis-clos muet, le narrateur se remémore le passé, sa relation avec son père, ancien diplomate et homme politique belge, ardent défenseur de la langue française aux quatre coins du globe, terrassé, pour comble, par l’aphasie. Une relation un peu distante, sans détestation ni grande manifestation d’affection. Est-ce ce genre de relation qu’entretiennent deux parallèles proches et semblables mais qui ne se rencontrent jamais, sauf à l’infini et ici, peut-être, à l’horizon de ce dernier voyage ?
D’étapes en réminiscences, le fils s’interroge sur ce qu’il sait réellement de son père, expérimente concrètement que, depuis l’accident cérébral, les rôles se sont inversés, pressent que la fin du voyage sera la métaphore d’une autre fin, découvre qu’il n’est pas trop tard pour tisser d’autres liens que ceux issus du langage.
Ce roman écrit avec une plume pudique et élégante, cocasse et douloureuse, évoque la relation père-fils à l’heure de la vieillesse, de la maladie et de la mort qui rôde. Avec ce texte qui semble partiellement autobiographique, Jean-Luc Outers a probablement voulu rendre un hommage à son père, tout en délicatesse et sensibilité.
#Lisezvouslebelge
Présentation par l’éditeur:
Que sait un fils de son père? Cette question, le narrateur se la pose de façon aiguë, douloureuse et comique lors d’un voyage en voiture qu’il entreprend seul avec son père qu’un accident cérébral vient de réduire à l’infirmité et au silence. Etrange voyage, en vérité, car ni le fils qui tient le volant, ni le père, assis à la place du mort, qui se plonge dans les cartes routières et y désigne de temps à autre un point, ne semblent connaître leur destination. Quel fil d’Ariane guide le père dans l’écheveau des routes? A quelle géographie appartiennent les lieux qu’il indique? A travers les images du passé qui croisent celles du paysage qui défile, le fils tente d’élucider l’énigme qu’est pour lui la vie de son père, homme politique brillant, défenseur infatigable de la langue française dans la « pauvre Belgique », qui maintenant se tait pour toujours. Et tout à coup, l’aphasie. Durant les onze journées de cette pérégrination, au milieu des avatars qui jalonnent leur trajet et leurs haltes, le lien qui se noue entre le père et le fils ne doit plus rien au langage. Dans ce roman bouleversant, Jean-Luc Outers pose la question du mystère de l’être, de la parole et de l’étrange inversion des rôles qui se produit lorsque la mort approche.
Une citation:
Le mot « parlement » m’apparut alors dans toute son évidence comme le lieu où l’on parle et où l’on ment tout à la fois. Nous, quand nous mentions à nos parents, par exemple, nous ne pouvions nous empêcher de rougir. Au contraire, c’était le ton imperturbable et droit du ministre qui m’avait frappé comme si, au parlement, parole et mensonge étaient indissociables, parties intégrantes du même rite. Depuis lors, j’ajoutai aux menteurs la catégorie des « mentaires », ceux qui, bien plus habiles, arrivent à mentir sans rougir, les adeptes du « mentir vrai », selon le mot d’Aragon. Cette manière qu’ont les parlementaires de réagir, d’applaudir, de voter en groupe comme dans un dispositif réglé une fois pour toutes, où la parole libre fait figure d’oasis dans un désert de langue de bois, me conforta dans cette conviction.