Auteur: Hernán Rivera Letelier
Editeur: Métailié (Suites) – 2015 (208 pages)
Prix de littérature du Conseil national du Livre (Chili) 1994
Lu en septembre 2017
Mon avis: Ô toi, l’ouvrier du salpêtre exploité jusqu’à la moelle dans les compagnies minières du nord du Chili, toi le mineur aux poumons tapissés de nitrate, qui te crèves pour trois fois rien dans cet impitoyable désert d’Atacama, toi, l’homme vieilli avant l’âge, solitaire et sans autre nom qu’un surnom, toi qui es venu des forêts du sud ou des villages de pêcheurs de la côte pour faire fortune et qui n’as jamais réussi à quitter tes salpêtrières malgré les faillites et les licenciements, toi le témoin de l’inexorable déclin des mines et de la fin du filon, sache-le, cette fois ton univers est bien près de s’effondrer sans espoir de reconstruction. Car oui, sache-le, cette nuit, la Reine Isabel est morte. Oui, la matriarche des prostituées du désert, celle qui se disait prédestinée à être pute (« c’est-à-dire, bordel de merde, que je suis née pour être pute comme la poule pour le pot-au-feu »), la vétérane des filles de joie et de coeur des salpêtrières, elle dont tous les vieux mineurs comme toi sont un jour ou l’autre tombés amoureux, oui, elle, n’est plus. Et là, un vieux sage, ou un vieux singe, comme toi, comprend que c’est forcément le signe annonciateur de la fin d’une époque. Le désert ne sera plus jamais le même. Les compagnies qui ferment les unes après les autres, les logements rasés, les ouvriers « remerciés », tu étais capable de faire avec et de subsister, tant qu’Isabel était là pour soulager ta solitude et tes « urgences amoureuses ». Bien sûr il reste les autres filles, plus ou moins jeunes, plus ou moins fraîches, qui n’ont comme toi qu’un sobriquet en guise de nom. Mais, comment dire, c’est comme si le peuple du désert venait de perdre son âme, avec l’espoir et le courage qui lui restaient. Alors, avec les putes et les autres ouvriers de la Compagnie, tu laisses affluer la nostalgie et les souvenirs de la vie – souvent sordide – de ce désert, où mineurs et prostituées ont fait, en dépit de tout, bon(s) ménage(s). Et cette vie continuera, un peu, beaucoup, mais sans passion, jusqu’à ce que cette folie du profit et de la rentabilité mette le dernier clou sur le cercueil du salpêtre atacameño.
C’est avec une petite larme au coin de l’oeil (mais c’est à cause de la poussière du salpêtre) que je referme ce roman, que dis-je, ce chant d’amour burlesque et lyrique, pétaradant et désespéré. Premier roman de son auteur (dont le style est devenu plus sobre par la suite), « la Reine Isabel… » est un hommage, par l’un des leurs, aux habitants du désert, les mineurs et leurs compagnes d'(in)fortune, les laissés-pour-compte des grands patrons et des gringos nantis. Porté par un souffle épique, ce récit magnifique témoigne de la promiscuité du quotidien dans les compagnies salpêtrières et des conditions de travail dans un environnement hostile et sublime, qui n’empêchent pas une certaine joie de vivre, de la tendresse et même de l’amour : « Des gaillards qui, au beau milieu du désert, torse nu sous le soleil le plus ardent de la planète, broyaient des étoiles comme autant de poux, assénant de toutes leurs forces de grands coups de masse de vingt-cinq livres. Des sauvages capables d’utiliser la dynamite aussi bien pour retourner une montagne que pour s’arracher un chagrin d’amour en même temps que les tripes si ça les bassinait trop. Des vieux dont le regard terrible gardait le reflet des massacres des mineurs du salpêtre comme de gigantesques crépuscules sanglants, et qui, l’air de rien, portaient la mort en bandoulière dans la courbe impavide de leur coutelas d’acier. Et cette femme extraordinaire, cette courtisane au grand coeur, cette pute héroïque, s’occupait de ces brutes, les berçait dans son giron comme de grands enfants sans mère. Elle les aimait sans rien demander, toujours avec le même entrain ; elle les aimait au point de tomber à bout de souffle, étendue comme une morte sur ces maigres matelas hirsutes si pleins de poux qu’ils en marchaient pratiquement tout seuls ».
Présentation par l’éditeur:
Dans une des compagnies salpêtrières perdues dans les vastes étendues délirantes du désert d’Atacama, on enterre Isabel, une prostituée, qui y travailla depuis l’âge de 11 ans. Hernán Rivera Letelier, ancien mineur du salpêtre, nous raconte dans un style puissant et burlesque cet enterrement et la fin d’un univers à la fois désespéré et débordant de vitalité.
Voilà qui est intéressant. Tu m’as donné envie de le lire.
Tant mieux! n’hésite pas 😉
Une pute au grand cœur devient une belle personne… Thème intéressant et un joli rôle de femme à découvrir, au delà des apparences.
comme tous les romans de cet auteur, d’ailleurs!