Auteur: José Saramago
Editeur: Seuil – 1997 (302 pages)/Points – 2020 (384 pages)
Lu en décembre 2021
Mon avis: Au volant de sa voiture, arrêté à un feu rouge, un homme devient subitement aveugle. Il ne le sait pas encore, mais il est le patient-zéro d’une épidémie de cécité qui se répand à toute vitesse à travers une ville, un pays, atteignant toute la population. A l’exception d’une femme. Celle-ci, alors que son mari est emmené avec les premiers aveugles détectés pour être placé quarantaine, décide de l’accompagner en faisant croire qu’elle est également aveugle, persuadée, de toute façon, que le même mal la frappera bientôt.
Ces premiers cas sont enfermés dans un ancien asile psychiatrique totalement insalubre. Pas de personnel médical pour les orienter ni s’occuper d’eux, ils sont laissés à l’abandon, hormis les caisses de nourriture qu’on leur livre et les consignes aboyées par haut-parleur. A l’extérieur de l’asile, des soldats ont pour ordre d’abattre toute personne qui tenterait de s’échapper.
Rapidement, l’asile est rempli, environ 200 aveugles y sont parqués comme des pestiférés. Bientôt, la nourriture livrée s’avère insuffisante et devient prétexte à des chantages abominables, les femmes servant de monnaie d’échange. « L’innommable existe », l’inhumanité aussi. On plonge dans l’horreur et l’abjection, la violence, la promiscuité, la crasse et la puanteur des corps et des âmes.
Seule une femme voit ce qui se passe, mais continue à se faire passer pour aveugle, sauf pour son mari, et tente d’aider discrètement quelques personnes.
Un jour, un incendie survient et ravage l’asile. Les aveugles se retrouvent libres, d’autant que les soldats ont disparu, et plus rien ne les retient dans ces ruines. Mais que faire de cette liberté quand le reste de la ville, du pays, du monde, est aussi aveugle ? « C’est ça aussi, la cécité, vivre dans un monde d’où tout espoir s’est enfui ».
Il reste cependant un brin d’espoir, puisqu’il reste une femme qui voit. Elle va tenter de sauver son mari et un tout petit groupe de personnes à qui elle a fini par révéler sa non-cécité. Elle leur cherche de la nourriture, des vêtements, un abri. Mais comment tenir, lorsqu’il n’y a plus personne pour faire fonctionner tout ce qui constitue une civilisation ?
Roman dystopique, « L’aveuglement » est un texte saisissant, nauséabond, apocalyptique, parsemé de réflexions existentielles, qui met en garde contre le fait que même avec des yeux valides, on peut en réalité passer sa vie à ne pas voir, à être aveugle aux autres et au monde, peut-être aussi à soi-même. Et qu’à force de ne pas voir, à force de s’enfermer en soi-même, on en perd son humanité. Un avertissement qui renvoie à une autre fable, celle qui dit : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ».
Et à ce point d’aveuglement, quand survient alors une crise aiguë, tous les comportements sont exacerbés : ici l’isolement extrême dans l’asile fait craquer la fine couche du vernis social, l’acquis de la civilisation, et révèle au grand jour (même si tout le monde est dans le noir) l’immonde noirceur de l’être humain. J’ai cependant trouvé que la symbolique n’était pas entièrement aboutie, puisque l’origine de la pandémie et la fin du roman restent inexpliquées. Ou si l’on considère que la pandémie est causée par le comportement aberrant de l’humanité, alors je n’ai pas compris le pourquoi de l’événement final, qui relève presque d’un deus ex machina.
Quoi qu’il en soit, ce roman est oppressant, tant par son sujet que par son style : une écriture sans respirations, sans renvoi à la ligne, sans indications de dialogues. Parfois laborieux à lire mais approprié : pas question de lâcher le fil des phrases, sous peine d’être comme Thésée qui serait privé du fil d’Ariane dans le labyrinthe.
Une lecture éprouvante et interpellante, qui résonne particulièrement en ces temps de pandémie, de confinements, de distanciation et de repli sur soi.
Présentation par l’éditeur:
Un homme, assis au volant de sa voiture, attend devant un feu rouge. Il devient soudain aveugle. C’est le début d’une épidémie qui se propage à une vitesse fulgurante à travers toute tout le pays. En quarantaine dans un hôpital ou livrés à eux-mêmes dans la ville, privés de tout repère, les hordes d’aveugles devront faire face à ce qui, en l’homme, est le plus primitif : la volonté de survivre à n’importe quel prix. L’amour, la haine, la cruauté, l’indifférence, la peur, autant de passions qui nous aveuglent à partir desquelles José Saramago bâtit une inquiétante allégorie des temps que nous vivons.
Guidés par une femme, le seul être qui n’a pas été frappé par la « blancheur lumineuse » et aveuglante, les personnages de ce magnifique et insolite roman connaîtront mille aventures tantôt dramatiques tantôt comiques avant de retrouver l’amour et la solidarité, ces humains valeurs que, voyant, ils avaient fini par par ne plus voir.