vendredi , 26 avril 2024

Bilan lectures 2021

Voici venu décembre, voici donc l’heure de ma rétrospective/best of 2021. Une année à nouveau remplie de découvertes, que je dois notamment à mes amis de Babelio, aux éditions Métailié, au réseau Netgalley et à ses partenaires éditeurs, à l’actualité, au bouche-à-oreille, au hasard.

A la rubrique francophone (ma langue maternelle), je demande d’abord la Belgique: trois romans et un recueil de textes poétiques figurent parmi mes lectures les plus marquantes de l’année:

 

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Antigone (Henry Bauchau – Actes Sud – 1997): une relecture du mythe qui fait la part belle à l’analyse psychologique (psychanalytique) des personnages. Antigone l’héroïque est inoubliable, elle est amour, passion, désespoir, désirs, féminité, regrets, révolte, impuissance, résignation. Elle porte sa souffrance et celle des autres et son horreur de la guerre, un poids bien trop lourd pour elle, qu’elle dépose dans un dernier cri de rage, avant le silence du tombeau. Un cri entre noirceur et lumière, qu’on entend encore bien après avoir refermé le livre.

La comtesse des digues (Marie Gevers – Espace Nord/Labor – 1ère édition 1931): à la mort de son père, la jeune Suzanne reprend ses fonctions de « comte des digues », à savoir l’entretien et la surveillance des digues de l’Escaut en amont d’Anvers. Mais est-ce bien là le rôle et la place d’une jeune femme célibataire? Et que faire de l’amour? Au rythme de quatre saisons, le cœur et les élans de Suzanne fluent et refluent, valse-hésitent entre ici et ailleurs, partir ou rester, l’amour du fleuve ou celui d’un homme. Un roman envoûtant, et le portrait doux et puissant de deux personnages magnifiques, la jeune fille et le fleuve, et de leur pays.

Ces enfants-là (Virginie Jortay – Les Impressions Nouvelles – 2021): naître et grandir dans les années 60-70, à l’heure de la libération sexuelle, est loin d’être épanouissant pour « ces enfants-là », ceux dont les parents sont immatures et irresponsables et oublient que leurs enfants sont des enfants. Un roman très dur, impudique, violent, puissant, féroce, bouleversant.

For intérieur – Haïbuns (Thierry Werts – Editions Pippa – 2016): un recueil de textes poétiques, des phrases douces et pudiques qui témoignent du métier éprouvant (procureur du Roi à Bruxelles) d’un homme tantôt éprouvé, tantôt émerveillé, bienveillant ou désenchanté, toujours sensible ; humain en somme.

A la rubrique francophone toujours, je demande ensuite le reste du monde, avec la France pour deux romans très touchants, et le Rwanda pour un texte saisissant sur les prémices du génocide de 1994.

 

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Une bouche sans personne (Gilles Marchand – Aux Forges de Vulcain – 2016): un roman doux et cruel, léger et tragique dans lequel la fantaisie est la politesse de la souffrance. Où l’imagination débridée et la poésie instillée par un grand-père farfelu a permis à son petit-fils de survivre. Un roman très émouvant, touchant, tout en pudeur et délicatesse, rempli de douceur et de silences pour affronter le fracassement d’une vie, et qui parle de mémoire et de transmission, de résilience et de solitude, de différence et surtout d’amitié.

J’aimerais avoir peur de la mort (Fanny-Gaëlle Gentet – Editions Fougue – 2020): un premier roman sur le passage à l’âge adulte d’une jeune femme à l’esprit tourmenté par une infinité de questions sur le sens de la vie. Un texte sombre ou cocasse, cérébral, toujours lucide et sincère, et plein d’auto-dérision.

Notre-Dame du Nil: (Scholastique Mukasonga – Gallimard – 2012): d’une chronique parfois cocasse de la vie quotidienne d’un pensionnat select pour jeunes filles au Rwanda à un final dramatique et sans espoir, « Notre-Dame du Nil » explique, à l’échelle du microcosme d’un lycée isolé, la montée de la terreur et de la haine qui déclencheront, 20 ans plus tard, un massacre d’une violence exponentielle.

 

Et puis il y a mon autre langue maternelle, l’espagnol: trois romans et deux recueils de romans en provenance du Salvador, d’Espagne et du Chili, tous lus en français:

 

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La diablesse dans son miroir (Horacio Castellanos Moya – Métailié – 2021): nouvelle traduction de « La diabla en el espejo », connu jusqu’ici en français sous le titre de « La mort d’Olga María ». Une lecture jouissive, un texte corrosif qui dézingue la bourgeoisie salvadorienne des années 90, foncièrement hypocrite et infréquentable sous son apparence de respectabilité. C’est terriblement triste pour le Salvador, mais c’est un pur régal pour les inconditionnels de Moya.

Défriche coupe brûle (Claudia Hernández – Métailié – 2021): l’histoire de générations de femmes anonymes dans un petit pays d’Amérique centrale, qui se battent pour assurer le présent, se protègent pour construire l’avenir, se transmettent ou pas leur courage et leur ténacité. La tâche est ardue, face à des prédateurs qui en veulent à leur argent, leur terre, leur corps, leur vie. Un bel hommage à ces femmes, combatives envers et contre tout.

Dans le tram (Benito Pérez Galdós – Editions de La Reine Blanche – 2021): au rythme d’un trajet en tram à travers la ville, Benito Pérez Galdós (1843-1920) nous emmène avec beaucoup de fantaisie dans une lecture jouissive, aux confins du roman policier, de la comédie et de la littérature populaire. Une nouvelle tourbillonnante, qui se déroule dans le huis-clos d’un tram, le temps d’un trajet, et où la réalité et la fiction s’emmêlent par la force de l’imagination.

Bestiaire (Luis Sepúlveda – Métailié – 2021): regroupées en un seul volume, voici les cinq fables animalières de L. Sepúlveda, agrémentées des jolis dessins de Joëlle Jolivet: des perles d’émotions, de sagesse et de poésie, amusantes ou mélancoliques, tendres ou désespérantes, qui parlent d’amitié, de loyauté, de respect de la Nature, de solidarité et de persévérance.

Raconter c’est résister (Luis Sepúlveda – Métailié – 2021): autre incontournable à glisser sous le sapin, ce recueil de quatre romans ou récits qui sont autant de facettes de l’auteur chilien et qui illustrent quelques-uns de ses thèmes d’écriture récurrents. Quatre histoires parsemées d’éléments autobiographiques qui font voyager, qui (r)éveillent les consciences, qui donnent la parole à ce, ceux ou celles qu’on n’entend pas ou plus, qui célèbrent la nature, la fraternité humaine, l’amitié et la liberté, en un mot, la vie.

Arrêtons-nous maintenant en territoire anglophone, et en particulier au pays de Shakespeare, avec ces deux coups de cœur de deux auteurs britanniques: 

 

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Le bruit du dégel (John Burnside – Métailié – 2018): un roman magnifique, doux et triste, dont la trame paraît banale, pourtant les personnages sont complexes, tous attachants. Bien plus qu’une histoire d’amitié, il y est question de transmission, d’histoire des USA, de loyauté, de sincérité, de choix et d’engagements, de solitude et de carapaces de protection.

Hamnet (Maggie O’Farrell – Belfond – 2021): une fiction sur Hamnet, le fils de Shakespeare, mort à l’âge de 11 ans, emporté par la « pestilence » en 1596. Mais le personnage principal de ce roman n’est pas Shakespeare, ni même Hamnet, c’est Agnes, l’épouse et la mère, instinctive, lumineuse, libre, entière, amoureuse, mère-louve jusqu’au bout des griffes, qui tuerait la Mort pour ne pas qu’elle emporte ses enfants. Le portrait sublime d’une femme et une écriture d’une beauté à couper le souffle.

Fictions, récits biographiques ou témoignages, voici des textes qui évoquent des femmes et leur destinée, individuelle ou collective. Toutes ont lutté ou luttent encore pour la liberté et l’égalité des femmes en particulier, et/ou pour les droits humains en général.

 

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Femmes en colère (Mathieu Menegaux – Grasset – 2021): une femme, agressée trois ans plus tôt par deux hommes, se retrouve en tant qu’accusée devant les Assises de Rennes. Elle s’est fait justice à elle-même. Dans la foulée du mouvement #metoo, ce roman développe toute la gamme des points de vue, des plus tranchés aux plus nuancés, montre les luttes d’influences au sein du jury, la pression médiatique et les réputations à perdre ou à gagner pour les professionnels de la justice, la difficulté de séparer l’affect et le factuel, oppose les émotions individuelles à la froideur du Code pénal. Il montre aussi que l’égalité femmes-hommes n’est pas acquise…

Tea rooms (Luisa Carnés – La Contre Allée – 2021): A Madrid au début des années 30, la crise économique se fait durement ressentir. Le travail est rare et la situation est particulièrement critique pour les jeunes femmes pauvres au faible niveau d’éducation. Matilde a de la chance et vient d’être embauchée dans un salon de thé. Paru en 1934, ce roman est une charge virulente contre la condition du prolétariat féminin et un plaidoyer pour l’émancipation des femmes et l’égalité.

Et ces êtres sans pénis! (Chahdortt Djavann – Grasset – 2021): à la fois témoignage et récit inspiré de faits réels, ce texte parle de la condition – misérable, ignoble – des femmes en Iran. Il est aussi une charge virulente contre le régime iranien, l’Etat islamique des ayatollahs, qui bafoue allègrement les droits des femmes et de manière générale toutes les libertés fondamentales de tout qui oserait s’opposer à lui. Chahdortt Djavann est une femme (cet être sans pénis!) admirable d’audace et de lucidité.

Captives (Dunya Mikhail – Grasset – 2021): un livre qui raconte la tragédie yézidie, minorité ethnique et religieuse victime des attaques de Daech en 2014 dans le Kurdistan irakien, et en particulier les histoires des femmes enlevées par les terroristes et qui ont réussi à s’échapper grâce à des passeurs, notamment Abdallah Schrem, ancien apiculteur de la région du Sinjar. Un livre dont la structure est peu convaincante mais qui a le mérite de donner la parole aux femmes yézidies.

L’oiseau captif (Jasmin Darznik – Editions Hauteville – 2019): biographie romancée de Forough Farrokhzad (1935-1967), grande poétesse iranienne, décédée à l’âge de 32 ans, ce livre dresse le portrait d’une jeune femme courageuse, opiniâtre, qui n’a jamais renoncé à sa liberté en dépit de toutes les cruautés et les blessures qu’on lui a infligées. Un livre passionné et passionnant qui donne chair et vie à un personnage marquant, devenue une icône dans son pays.

De l’ardeur (Justine Augier – Actes Sud – 2017): à la fois essai et biographie, ce livre reconstitue le portrait de Razan Zaitouneh, avocate syrienne, juriste militante des droits humains et opposante au régime de Bachar el-Assad, enlevée en décembre 2013 avec son mari et deux amis, et dont on est sans nouvelles depuis. Un texte bouleversant et écrit avec une grande sensibilité qui retrace non seulement le parcours et le combat acharné de la militante (qui vaudra à celle-ci les prix Anna Politkovskaïa et Sakharov en 2007), mais aussi toute la tragédie de l’histoire syrienne récente.

Condamnée à l’exil (Sayragul Sauytbay et Alexandra Cavelius – Editions Hugo Doc – 2021): sous-titré « Témoignage d’une rescapée de l’enfer des camps chinois », ce livre retrace le parcours d’une survivante, réchappée des camps de « rééducation » du Xinjiang dans le nord-ouest de la Chine. Le régime communiste y enferme les prétendus « terroristes » issus des minorités musulmanes kazakhe et ouïghoure. Un pur cauchemar, une lecture à la limite du soutenable qui annonce des perspectives glaçantes, tant la volonté de la Chine de gouverner le monde, par l’argent et la pensée est grande et à peine voilée.

Des livres classés « non-fiction », j’en ai lus plus que d’habitude, cette année: besoin de réfléchir et d’alimenter mes méninges, de comprendre ce qui nous arrive et pourquoi, comment et vers où nous allons, allez savoir…

 

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Vivre avec nos morts (Delphine Horvilleur – Grasset – 2021): Delphine Horvilleur, femme rabbin de tendance libérale, nous livre ses réflexions et son questionnement sur la mort et revient sur son parcours, ses propres fantômes, les non-dits de son enfance. Un texte d’une profonde humanité et très enrichissant, tantôt drôle, tantôt poignant.  C’est aussi un hommage au langage et au pouvoir du verbe consolateur.

La fabrique des pandémies (Marie-Monique Robin – Editions La Découverte – 2021): fondé sur des entretiens avec une soixantaine de scientifiques renommés dans leurs disciplines respectives, voici un ouvrage très riche, dense, mais fluide à lire et très accessible, qui explique que l’émergence des virus et zoonoses est largement favorisée par la destruction de la biodiversité. Qui explique que le phénomène n’est pas nouveau, qu’il est connu, mais qu’il est grand temps de réagir pour prévenir des pandémies futures.

Ce que nous cherchons (Alessandro Baricco – Tracts Gallimard – 2021): un essai aussi court que riche et intéressant, captivant, qui sonne très juste. Il propose une grille de lecture insolite mais convaincante de cette situation de pandémie que nous n’avons pas fini de connaître, une sorte de psychanalyse de l’inconscient collectif mondialisé. De quoi prendre un peu de hauteur et respirer calmement, loin des vaccins, variants et autres pass sanitaires…

Juste un passage au JT (Marius Gilbert – Editions Luc Pire – 2021): Marius Gilbert, épidémiologiste belge francophone très médiatisé au cours de la pandémie, livre ici son expérience de et ses réflexions sur la gestion de la crise en tant qu’expert conseillant le gouvernement, et suggère des pistes pour surmonter la pandémie non seulement sur son aspect sanitaire, mais aussi ses enjeux sociaux, culturels, psychologiques, économiques. Un livre clair, nuancé, étayé,  empreint d’humilité et d’humanité.

Le droit d’emmerder Dieu (Richard Malka – Grasset – 2021): transcription de l’intégralité de la plaidoirie de Me Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, au procès des attentats de janvier 2015 à Paris, ce texte est un véritable plaidoyer pour la liberté d’expression et le droit au blasphème. Un texte brillant, intelligent, nécessaire, salutaire.

Et pour terminer en images, deux romans graphiques, l’un documentaire, l’autre dystopique:

 

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Traducteurs afghans (B. Andlauer, Q. Müller et P. Thyss – La Boîte à Bulles – 2020): l’histoire des tarjuman (traducteurs) afghans, utilisés par la France et d’autres pays de la coalition internationale après l’invasion de l’Afghanistan en 2001: engagés auprès des troupes alliées par conviction, contre le régime taliban, ils sont abandonnés par les Occidentaux au moment du retrait des troupes du pays à partir de 2012, sans que l’on se préoccupe de leur sécurité alors qu’ils sont considérés comme traîtres par les intégristes. Avec le retour des taliban au pouvoir à Kaboul en août 2021, cet ouvrage est à nouveau cruellement d’actualité.

Le grand vide (Léa Murawiec – Editions 2024 – 2021): premier roman graphique de l’auteure, un ouvrage dystopique bourré d’énergie, sur la course effrénée aux likes sur les RS et le sens de la vie à l’heure du virtuel.

Bonne année à toutes et tous!

Et n’oubliez pas:

😉

 

 

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4 commentaires

  1. Sympathique, cette idée de bilan par langues. J’avais beaucoup aimé La comtesse des digues (le seul titre de ce bilan que j’ai lu), et je m’inspirerai de la section espagnole la prochaine fois que je rechercherai un titre pour ma lecture VO annuelle (c’est un Padura cette année).
    J’en profite pour signaler que le widget twitter ne semble plus fonctionner?
    Bonne nouvelle année de lectures!

    • Merci pour votre commentaire! c’est la première fois que je classe mes lectures par langues, cela me permet de mettre en avant davantage de coups de coeur 😉
      J’ai également deux Padura qui m’attendent (en VF), mais leur taille m’effraie un peu 😉
      Je vais vérifier le widget, merci de me l’avoir signalé.
      Bonne année livresque 2022!

  2. Très sympa ce bilan et j’aime aussi beaucoup l’idée d’organiser les livres par langue d’écriture. Beaucoup de belles lectures en 2022 !