lundi , 18 mars 2024

Vent d’Est, vent d’Ouest

Auteur: Pearl Buck

Editeur: Le Livre de Poche – 1972 (250 pages)

Prix Nobel de littérature 1938

Lu en novembre 2014

vent d'estMon avis: Choc des cultures, choc des générations, pour une fois ces expressions ne sont, à mon sens, pas galvaudées.
Nous sommes en Chine, dans les années ’20, à la période charnière de l’avènement d’une République moderne et progressiste (pas encore communiste), qui prend le pas sur la tradition impériale millénaire. Cette mutation, on le sait aujourd’hui, ne se fera pas sans mal au niveau politique. Mais la transition est également bien délicate dans la sphère privée, au coeur des familles, au plus intime des rapports entre individus.
Kwei-Lan, la narratrice, est une jeune femme issue d’une famille de la haute société on ne peut plus traditionnaliste. Elle vient d’être mariée à l’homme que ses parents lui avaient choisi dès sa naissance. Elle n’a bien entendu pas eu le moindre mot à dire à ce sujet, mais de toute façon cela ne lui serait jamais venu à l’esprit, convaincue que ses parents ont nécessairement fait le meilleur choix pour elle. Kwei-Lan est pétrie jusqu’à l’ADN des traditions ancestrales, au rang desquelles figurent le culte des ancêtres, le respect des parents puis du mari, l’humble rôle de la femme consistant à procréer pour satisfaire les prénommés et à combler les moindres désirs de son époux. Kwei-Lan est donc bien préparée à sa nouvelle vie de femme mariée (càd de femme sous tutelle). Mais, à la stupeur et au grand désarroi de la jeune fille, son mari l’est beaucoup moins. Celui-ci revient en effet d’Europe, où la rencontre avec la culture occidentale lui a fait ressentir l’obsolescence de ses propres croyances.
La première partie du roman relate les débuts du mariage de Kwei-Lan, l’incompréhension mutuelle des conjoints, le terrible dilemme de celle-ci qui, obligée de plaire à son mari, ne peut y arriver qu’au prix de graves entorses aux traditions, prenant ainsi le risque de déplaire à sa propre famille. Perdant bien vite son inénarrable naïveté, elle arrivera cependant à mener sa barque et à susciter l’amour de son époux. C’est sur ce quasi-épilogue que vient se greffer la deuxième histoire, lorsque le frère de Kwei-Lan rentre des Etats-Unis avec une Américaine, qu’il a épousée. Pour les parents de Kwei-Lan, c’est la trahison ultime, le scandale absolu, l’ignominie et la honte sur la famille, qui ne pourra honorer son engagement de marier ce fils désormais indigne à la jeune fille qui lui est promise depuis le berceau. La pression, à coup de chantage financier et affectif, sera terrible sur le frère de Kwei-Lan et son épouse « étrangère ».
Je n’en dirai pas plus sur l’issue de cette guerre des nerfs, mais nul doute qu’elle aura provoqué des dommages collatéraux. La Grande Muraille gardienne des traditions se fissure, s’effrite, et les vents d’Occident apporteront bien des tourbillons de poussière pour brouiller un carcan de Lois autrefois si claires et nettes, tourmentant une foi jusque-là inébranlable. Certains s’adapteront, d’autres pas.
Pearl Buck décrit à merveille ces bouleversements et déchirements intérieurs. A plusieurs reprises j’ai ouvert des yeux ronds comme des billes devant la candeur inouïe de la douce Kwei-Lan. Elle n’avait jamais imaginé qu’un autre monde que le sien puisse exister. Et lorsque le voile de son ignorance se déchire peu à peu, elle restera longtemps convaincue de la suprématie de son univers de traditions et de lois immémoriales, tout ce qui vient d’ailleurs, hommes, femmes, objets, moeurs, pensées, étant considéré comme nécessairement inférieur, médiocre, irrecevable voire barbare. Une telle vision du monde, étriquée, bornée, intolérante est surprenante, même si évidemment l’époque n’était pas à la communication instantanée contemporaine.
Quoi qu’il en soit, me voilà moi aussi un peu moins ignorante après la lecture de ce petit bijou. Allez, un petit jeu de mots facile : une vraie « Pearl », ce Nobel…

Présentation par l’éditeur: 

Kwei-Lan vient d’être mariée, sans le connaître, à un homme de sa race mais qui revient d’Europe. Ce Chinois n’est plus un Chinois, il a oublié la loi des ancêtres, il ne reconnait, ne respecte ni les coutumes, ni les rites…
Le frère de Kwei-Lan vient de passer trois ans en Amérique, l’héritier mâle, dépositaire du nom et des vertus de la race, annonce son mariage avec une étrangère ; il revient avec elle…
A travers les réactions de cette famille de haute condition où l’attachement aux traditions, le culte des ancêtres, l’autorité du père et de la mère n’avait encore subi aucune atteinte, la grande romancière Pearl Buck nous fait vivre intensément le conflit souvent dramatique entre la jeune et la vieille Chine.

Evaluation :

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2 commentaires

  1. Voilà un livre que je destine à ma PAL. J’aime beaucoup les romans ou à documentaires qui parlent de la Chine. Pour moi, c’est un pays fascinant, même si les écarts avec l’Occident tendent à se rétrécir, les rites et traditions soulèvent beaucoup de questions et d’étonnements chez nous. Et je constate que pour toi, ce roman a été un beau voyage au fil des pages…