Auteurs: Sebastian Castelier et Quentin Müller
Editeur: Marchialy – 12 octobre 2022 (400 pages)
Lu en octobre 2022
Mon avis: Sous-titré « Coupe du monde 2022 au Qatar, les coulisses d’un esclavage contemporain », ce document ne se limite cependant pas à une enquête sur le sort des travailleurs migrants exploités, parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive, sur les chantiers de construction des stades de foot.
L’enquête est certes centrée sur le Qatar et sa « Zone industrielle » où les travailleurs sont parqués dans des « logements » indécents, mais elle balaie un spectre plus large, qui s’étend à toute la zone du Golfe, et à toutes les catégories de travailleurs (hommes, femmes, secteurs de la construction, de la sécurité, du petit commerce, du travail domestique et même celui de la chair à canon dans des guerres sales, en Lybie par exemple). Le livre décrit les conditions de travail épouvantables, les logements insalubres, la nourriture inadaptée, l’eau insuffisante et polluée (au point de provoquer des insuffisances rénales souvent mortelles à terme). Il montre aussi toute la pression qui pèse sur les migrants, dont les salaires sont très souvent le seul moyen de subsistance pour toute leur famille restée au pays, la pression et les (fausses) promesses d’enrichissement facile qui les poussent à quitter leur pays, à enchaîner deux ou trois boulots ou les heures supplémentaires pour gagner un peu plus, qui les empêchent de rentrer chez eux avant d’avoir gagné suffisamment d’argent, sous peine de déshonneur. Cette migration apparaît particulièrement cruelle pour les jeunes femmes, souvent très mal informées, recrutées par des agents véreux, et qui atterrissent, dans le pire des cas, dans des réseaux de prostitution. Et qui, quand elles parviennent à rentrer dans leur pays, enceintes ou avec un enfant né d’un viol, sont abandonnées à leur sort, sans ressources, reniées par leur famille et le poids des traditions.
Accidents, maladies, suicides, maltraitances physiques et mentales, solitude, séparation d’avec la famille pendant des années, humiliation, déshumanisation, telles sont les conséquences de la misère dans les pays d’origine de ces migrants, du sud-est asiatique à l’Afrique de l’ouest.
A cet inventaire, les auteurs ajoutent des témoignages plus ou moins hypocrites de dirigeants et d’entrepreneurs du Golfe ou de diplomates (coincés entre la real politik et les droits humains), et ceux, désabusés et impuissants, de membres d’ONG qui aident les migrants sur place ou une fois rentrés au pays, ou de politiciens des pays d’origine, conscients à la fois des enjeux humains et des retombées économiques positives générées, dans leur propre pays, par l’afflux d’argent des migrants, qui permettent parfois la survie ou le développement de toute une région (cf l’exemple du Kerala).
Pour ce livre, les auteurs ont interrogé une soixantaine de travailleurs et de membres de leurs familles à travers différents pays. Une enquête menée dans des conditions logistiques compliquées et dangereuses, sans compter les risques pris pour leur propre sécurité et surtout celle de leurs fixeurs locaux et des personnes interrogées dans les différents pays du Golfe. « Informer, mais à quel prix ? », se demandent les auteurs. Quoi qu’il en soit, cet ouvrage est un document nécessaire, qui fait prendre conscience que cet esclavagisme moderne va bien au-delà d’une question d’offre et de demande de travail.
En partenariat avec les Editions Marchialy via Netgalley.
#LesEsclavesdelhommepétrole #NetGalleyFrance
Présentation par l’éditeur:
Comment le Qatar s’est-il hissé au rang de puissance internationale au point d’accueillir l’un des plus grands événements sportifs au monde ? Grâce à l’or noir et au gaz naturel, mais aussi en exploitant des millions de travailleurs venus pour majorité d’Asie et d’Afrique. Une main-d’oeuvre prise dans l’étau des réseaux migratoires, de la corruption de leur propre pays et de la toute-puissance des États du Golfe qui profitent ainsi d’un vaste système d’esclavage contemporain. La construction des stades de la Coupe du monde 2022 n’est que la face visible de l’iceberg : l’économie entière de ces pays repose sur le travail d’une masse silencieuse et anonyme.
Sebastian Castelier et Quentin Müller ont parcouru la péninsule Arabique ainsi que les pays de départ des migrants pour recueillir la parole de travailleurs et de leur famille, mais aussi celle de diplomates, d’hommes d’affaires, de politiciens, de médecins. Ils laissent toute la place aux témoignages pour mieux comprendre un système.