Auteure: Claudie Hunzinger
Editeur: Grasset – 24 août 2022 (288 pages)
Lu en octobre 2022
Mon avis: Voilà trois ans que Sophie et son compagnon Grieg se sont installés dans une vieille maison isolée au cœur des Vosges, au lieu-dit « Les Bois-bannis ». Dans ce couple âgé, elle est écrivaine (« écri-vaine », ainsi qu’elle se qualifie elle-même), tandis que lui passe désormais ses journées à dormir et ses nuits à lire. Ils sont loin de tout, à l’écart des humains et des commerces, faisant corps avec la Nature qui les entoure, et cela leur va très bien.
Un jour, une petite chienne déboule dans leur vie. Manifestement maltraitée, échappée de son tortionnaire, elle trouve refuge auprès du couple et s’attache aussitôt à Sophie, qui le lui rend bien. Elle baptise la chienne « Yes », comme un oui un peu étonné à la vie qui jaillit, inattendue, fraîche, joyeuse, énergique, dans la maisonnée sur le point de s’engourdir dans son train-train. Avec Yes, Sophie chausse ses Buffalos, enfile sa parka et s’embarque dans de longues balades à travers la forêt montagneuse.
Il n’y a pas vraiment de péripéties dans « Un chien à ma table », mais il y a beaucoup d’autres choses. A mi-chemin entre la chronique d’une vie d’ermites et une réflexion sur le monde comme il va (mal), Sophie (double littéraire de l’auteure) s’interroge sur la vieillesse, le métier d’écrivain, le langage, les livres, la société déshumanisée, la Nature, l’écologie, les rapports entre humains et animaux et leur bienveillance (ou pas) les uns à l’égard des autres, la frontière entre les espèces, ce qui les caractérise. On y lit beaucoup d’amour et de tendresse, il y a de la révolte et de la résistance, la mort n’est pas encore là, tout n’est pas encore perdu. Pourtant on sent bien qu’il est minuit moins cinq, que l’atmosphère est vaguement pré-apocalyptique en cette ère de fatal anthropocène. Il y a comme une urgence à vivre, à aimer, à respecter le vivant. C’est le message révélé à ce couple vieillissant par Yes, surgie de sa montagne telle un ange gardien porteur d’un message de rédemption. Porté par une écriture poétique, il y a donc un peu de tout cela dans ce livre plus ou moins structuré, plus ou moins développé, plus ou moins compris et convaincant. J’ai plus ou moins aimé.
En partenariat avec les Edtions Grasset via Netgalley.
#Unchienàmatable #NetGalleyFrance
Présentation par l’éditeur:
C’est un roman dont Yes, une jeune chienne, est le personnage principal. Un soir, celle-ci, traînant une sale histoire avec sa chaîne brisée, surgit à la porte d’un vieux couple, Sophie une romancière et Grieg son compagnon. À partir de là, le destin de Yes va tenir à lui seul la narration. D’où vient-elle, qu’a-t-elle vécu ? Est-on à sa poursuite ? La chienne se révèlera la gardienne de ce qui caractérise l’humain. La gardienne du langage. Mais une gardienne menacée.
On pourrait aussi voir dans ce roman l’histoire d’un duo féminin/animal. Il raconte en effet la grande affection qui lie Sophie, la narratrice, et Yes, la jeune chienne échappée de chez un zoophile. Chacune s’augmentant de l’autre. Chacune veillant aussi sur l’autre. Jusqu’au drame.
Mais c’est également un roman d’amour entre deux êtres humains, interrogeant quelle sorte d’amour lie encore un vieux couple, Sophie qui aime les marches dans la forêt, et Grieg, déjà sorti du monde, dormant le jour et lisant la nuit, survivant grâce à la littérature. L’intrusion de Yes sera le révélateur de l’amour qui lie ce couple en passe de l’avoir oublié.
Cependant, on peut aussi penser que le thème du roman, c’est la vieillesse. Celle du monde, celle d’un couple, celle d’une femme. Oui. Mais surtout le contraire de la vieillesse. Dans ce roman, on n’accepte pas encore la défaite. Grâce à l’irruption de Yes, il est une ode à la vie.
On peut également penser qu’on se trouve dans un roman écoféministe dont l’enjeu est ce qui lie la nature menacée et le féminin révolté.
Quoi qu’il en soit, on baigne dans des temps troublés. Bizarres. Inquiétants. Où va-t-on ? L’humanité, que deviendra-t-elle ? Que deviendront les bibliothèques, les librairies, les livres ? Mais comme il s’agit d’un livre qui prône l’extravagance, où les poètes de ces temps de détresse se sont réfugiés dans les champignons, merveilles d’un futur imprévisible, ce roman baigne dans un climat d’amour de la poésie. Son véritable enjeu climatique, c’est la poésie.
Une citation:
– Pour le moment, je ne lisais plus. Je vivais sans cesse dehors. Je lisais le dehors. Il se trouve que cette façon de vivre sans cesse dehors a changé la manière dont j’avais conscience de moi-même: je me sentais moins que jamais séparée de la nature. Sauf par un crayon, in extremis. Ce qui m’a permis de comprendre qu’on n’est pas emmurés dans notre espèce, une espèce séparée des autres espèces, différente mais pas séparée, et que faire partie des humains n’est qu’une façon très restreinte d’être au monde. Qu’on est plus vaste que ça.