Auteur: Giulio Cavalli
Éditeur: Editions de l’Observatoire – janvier 2021 (224 pages) / 10-18 – 6 janvier 2022 (216 pages)
Lu en février 2022
Mon avis: Par un beau matin de mars dans la petite ville côtière de DF, dans le sud de l’Italie, un pêcheur découvre un cadavre dans le port. Celui d’un jeune homme à la peau basanée, manifestement venu de l’autre côté de la mer, et que rien ne permet d’identifier. C’est l’émoi dans la population, qui retombe cependant assez vite : après tout, quelle importance, ce type on ne le connaît pas, il n’est pas d’ici.
Mais quelques jours plus tard, on découvre un deuxième cadavre, puis un autre et encore un autre, puis ce sont des vagues de centaines et de milliers de corps qui se succèdent et déferlent sur DF. La petite ville disparaît littéralement sous les cadavres. Panique des habitants, branle-bas de combat des autorités locales qui tentent d’arrêter comme elles peuvent ces vagues de mort(s), appel à l’aide au gouvernement central de Rome, emballement médiatique planétaire, DF est sous les feux de la rampe. L’angoisse est d’autant plus pesante que personne n’arrive à expliquer d’où viennent ces corps, ni pourquoi ils se ressemblent au point qu’ils semblent être des clones les uns des autres. Et que personne ne sait quand cela va s’arrêter.
Voilà pour la première partie de cet étrange roman, intitulée « Les morts ». Dans la deuxième (« Les vivants »), on lira comment DF, fatiguée d’attendre une quelconque aide rapide et efficace de Rome, prend son destin en main et cherche, tant qu’à faire, à tirer profit de ces milliers de cadavres qui ne cessent d’affluer et menacent son existence. A partir de là, on s’enfonce dans le glauque, le gore même, et l’immoral, quant à l’utilisation de cette nouvelle « ressource ». Sauf que les choses sont bien plus complexes que cela. Certes le traitement réservé aux cadavres est totalement choquant, nauséeux, abject, mais pour les habitants de DF, c’est une question de survie : les vivants doivent-ils se laisser ensevelir par des morts ? Face à cette véritable plaie biblique, qu’est-ce qui est juste, légitime, indigne, criminel ?
« A l’autre bout de la mer » est une fable déroutante et dérangeante sur une double déshumanisation : celle de ces cadavres anonymes et indifférenciés, agglomérés en une masse informe, dont on peut supposer qu’ils sont des migrants provenant des autres bords de la Méditerranée, et celle des habitants de DF qui perdent tout sens moral, poussés d’abord par un instinct de conservation puis par l’appât du gain et le besoin de sécurité.
Dans ce roman dystopique très noir, macabre (âmes sensibles…), baroque, l’auteur interroge la politique migratoire italo-européenne, et la récupération et la manipulation de la peur par les politiciens populistes tendance extrême-droite fascisante, en poussant très loin les curseurs de la provocation et de l’horreur. Il m’a semblé aussi qu’il voulait faire résonner l’écho de l’actuelle crise sanitaire dans les contraintes liberticides imposées aux habitants de DF. Quoi qu’il en soit, la démonstration est faite, avec fracas, que le repli sur soi est mortifère.
En partenariat avec les Editions 10/18 via Netgalley.
#Alautreboutdelamer #NetGalleyFrance
Présentation par l’éditeur:
Giovanni Ventimiglia est pêcheur. Il vend son poisson au marché de DF, une petite ville italienne accrochée à la côte comme beaucoup d’autres, avec un curé qui sermonne et qui va au bordel, une chaîne d’actualité locale qui enflamme le coeur des ménagères avec son présentateur grisonnant et son afflux de touristes estival. Mais un matin de mars, en accostant au port, Giovanni découvre un cadavre, celui d’un jeune homme venu d’ailleurs.
Après lui, les découvertes se succèdent sans que les autorités locales ne parviennent à trouver un fil conducteur, une raison logique à ces vagues mortifères. Désemparée, la petite ville appelle à l’aide, et finira par mettre au point une bien étrange stratégie pour venir à bout de ces vagues macabres… mais s’en relèvera-t-elle indemne ?
Giulio Cavalli réinvente le genre de la dystopie dans ce roman aussi noir que fascinant, véritable miroir tendu vers l’humanité et ce qu’elle a de plus dérangeant.