Auteur: Reinaldo Arenas
Editeur: Babel – 2000 (448 pages)
Lu en avril 2017
Mon avis: « Avant la nuit » est l’autobiographie de Reinaldo Arenas, écrivain né à Cuba en 1943 et qui, atteint du sida, se donnera la mort en 1990 à New York.
Reinaldo Arenas est né à la campagne, près de Holguin dans la province d’Oriente, dans une famille pauvre, dans laquelle les femmes sont, tôt ou tard, abandonnées ou trahies par les hommes. Né sous la dictature de Batista, il est adolescent quand Castro mène sa guérilla depuis la Sierra Maestra avant de prendre le pouvoir. A ce moment, la Révolution suscite espoir et enthousiasme. Arenas lui aussi s’enflamme pour ce vent nouveau, grâce auquel il pourra faire des études, obtenir un premier emploi puis un poste à la Bibliothèque nationale et même remporter un prix littéraire. Las ! Une dictature chasse rapidement l’autre, virage à plus de 180 degrés de la droite vers la gauche. Arenas déchante tout aussi rapidement et s’oppose au communisme. Ecrivain, intellectuel, homosexuel, le voilà considéré comme un dangereux contre-révolutionnaire. Il sera pendant des années la souris essayant d’esquiver le chat castriste, tentant de quitter le pays, réussissant à faire publier ses romans à l’étranger en les faisant sortir clandestinement de l’île, réécrivant à plusieurs reprises certains manuscrits confisqués ou détruits par la Sûreté de l’Etat. Prison, torture, trahisons, délations, paranoïa, il connaîtra toute la panoplie des horreurs d’une dictature absurde, avant de parvenir à gagner les Etats-Unis sur un coup de chance.
Ce récit, écrit sous tension, dans l’urgence, est intense, impudique, édifiant. Si la litanie des (més)aventures sexuelles, crûment décrites, est parfois agaçante et sans intérêt, elle est cependant révélatrice de la recherche d’une liberté totale, de la volonté absolue de s’évader à tout prix de cette île-prison. Quand on pense que le régime castriste interdisait aux Cubains d’aller à la plage par crainte qu’ils s’enfuient à la nage… On est bien loin de l’image pseudo-romantique des barbus de la Révolution. Il est frappant aussi de lire que, si les médias étrangers et une grande partie des Cubains exilés ont mené grand tapage lorsque Reinaldo Arenas se trouvait coincé à Cuba, ils n’ont plus fait grand cas, ni de lui, ni de sa cause, une fois qu’il réussit à s’enfuir de cet enfer.
« Avant la nuit », avant la mort, ce livre raconte, de l’intérieur et avec les tripes, une vie de résistance au harcèlement et aux exactions d’un régime de terreur. En dépit de tout cela, la lettre d’adieu de Reinaldo Arenas se termine sur une note d’espoir poignante : « Cuba sera libre. Moi je le suis déjà ».
Présentation par l’éditeur:
De l’enfant nu qui mange de la terre dans une vieille ferme de Holguin à l’exilé cubain qui, à quarante-sept ans, malade, se donne la mort à New York, l’existence de Reinaldo Arenas est guidée par l’anticonformisme viscéral de qui a osé prendre tous les risques.
Vibrant témoignage sur les exactions de la dictature castriste, Avant la nuit est une œuvre littéraire à part entière composée avec fureur et poésie. Elle est traversée de ses principaux thèmes de prédilection: une recherche éperdue de beauté, encore la lune, toujours la mer, et une sexualité débridée comme manifestation absolue de liberté et, dans son cas, de résistance.
Porté à l’écran par Julian Schnabel, Avant la nuit a obtenu le Grand Prix spécial du jury 2000 à la Mostra de Venise.
Quelques citations:
– La beauté en soi est dangereuse, conflictuelle pour toute dictature, car elle implique un climat qui franchit les limites que cette dictature assigne aux êtres humains; son territoire échappe au contrôle de la police politique qui ne peut donc y régner. C’est pourquoi elle irrite les dictateurs qui s’ingénient par tous les moyens à la démolir. Sous un système dictatorial, la beauté est toujours dissidente, car toute dictature est par nature anti-esthétique, grotesque; l’exprimer, c’est pour le dictateur et ses agents une attitude réactionnaire, d’évasion.
– Dans les dernières années de sa vie, l’univers d’Olga Andreu était, dans une large mesure, peuplé de fantômes aimés, tragiquement disparus. Sa mort [par suicide] fut peut-être un acte de vie; il y a des moments où continuer de vivre c’est se rabaisser, se compromettre, mourir de répugnance. Dans cette région intemporelle où la Sûreté de l’Etat ne pourra plus la « paramétrer », Olga a voulu entrer avec toute sa joie de vivre, toute sa dignité intactes.
– L’un des cas d’injustice intellectuelle les plus flagrants de notre époque fut celui de Jorge Luis Borges, auquel on a refusé systématiquement le prix Nobel, simplement en raison de son attitude politique. Borges est l’un des écrivains latino-américains les plus importants du siècle; le plus important peut-être; néanmoins le prix Nobel fut attribué à Gabriel García Márquez, pasticheur de Faulkner, ami personnel de Castro et opportuniste-né. Son oeuvre, en dépit de certains mérites, est imprégnée d’un populisme de pacotille qui n’est pas à la hauteur des grands écrivains qui sont morts dans l’oubli ou qui ont été mis à l’écart.
Merci pour cette belle critique qui donne un aperçu terrible de ce que fut Cuba sous Castro et dont on n’a peu parlé ou écrit. Les rares amis qui sont allés sur l’île, en touristes, n’ont rien vu de la vie décrite ici. Ils étaient « parqués » dans des résidences au bord de la mer et les rares excursions extérieures étaient bien cadrées…
merci Mimi. Oui les témoignages « de l’intérieur » ne sont pas courants.