Auteurs: Jacinthe Mazzocchetti et Pierre-joseph Laurent
Editeur: Academia – 2021 (212 pages)
Lu en juillet 2021
Mon avis: Cet ouvrage propose d’apporter un regard anthropologique sur la pandémie qui nous occupe depuis 18 mois. C’est-à-dire qu’il est censé analyser « les conséquences du virus sur les relations entre les personnes« . Et c’est vraiment ce genre d’analyse que j’avais envie de lire, et c’est pour cela que j’ai coché ce livre lors de la dernière Masse Critique Non Fiction.
C’est peut-être un malentendu, ou peut-être que je n’ai rien compris à ce livre, en tout cas je reste sur ma faim.
Les auteurs sont deux anthropologues belges, Jacinthe Mazzocchetti écrivant par ailleurs également de la fiction (par exemple « Là où le soleil ne brûle pas« , que j’ai chroniqué récemment). Le livre est constitué d’une introduction et d’une conclusion, et de six chapitres (trois par auteur), dont l’articulation m’a semblé assez aléatoire. Quelques photos et poésies (écrites par J. Mazzocchetti et très touchantes) ponctuent les différentes parties.
Les trois chapitres écrits par J. Mazzocchetti sont en lien avec le vécu des gens, concrets. Dans un style littéraire, parfois poétique, elle y parle de son propre ressenti, a interrogé son entourage et cite leurs témoignages pour ensuite élargir le propos. Elle aborde la défiance croissante envers les institutions, les angoisses et les incertitudes de la crise qui ont pu faire le lit du complotisme, elle questionne la relativité des vies, celles qui valent qu’on en porte le deuil et les autres. A ce stade elle s’écarte du contexte pandémique pour parler des migrants, un de ses sujets de prédilection, évoque ceux qui sont morts en Méditerranée dans l’indifférence, et ceux qui survivent chez nous, dans la même indifférence, et revient brièvement sur le sort de toutes les catégories de personnes (encore plus) précarisées par la crise.
Les trois chapitres de P.J. Laurent sont plus abstraits, factuels et impersonnels. Le premier revient sur la saga des masques et la déferlante de chiffres dont on nous abreuve depuis le début, pour constater d’une part que comparer les chiffres ne sert à rien puisque les critères de comptage des morts Covid (par exemple) varient d’un Etat à l’autre, et d’autre part, que de toute façon ces chiffres ne disent rien des arbitrages des Etats, entre économie et santé notamment. Le cinquième chapitre analyse et compare ces arbitrages et les choix des Etats, allant du confinement plus ou moins strict au non-confinement, et les stratégies privilégiant l’économie ou la santé de la population.
Le troisième chapitre m’a laissée perplexe : il y est question des ripostes des Etats à la pandémie, et notamment de l’imposition du port du masque, qui marque l’avènement d’une nouvelle culture plus distanciée et qui symbolise la peur, la suspicion et la réprobation à l’égard de celui qui ne le porte pas (perso je voyais le masque plutôt comme un signe de respect vis-à-vis d’autrui, une protection collective, quelque chose qui a à voir avec la solidarité, mais passons). S’ensuivent la conclusion que, masqués, il nous reste le regard pour faire passer la communication, puis une digression sur les yeux comme organes de séduction notamment dans « les cultures où le voile a établi une barrière autour du corps de la femme ». Là je n’ai pas vraiment compris le lien : la pandémie ne masque que le bas du visage, pas l’entièreté du corps, et pas que celui des femmes, et puis cherche-t-on à séduire toutes les personnes qu’on regarde, à toutes les mettre « sous l’emprise de notre regard » dans une perspective amoureuse ?
J’ajoute que j’ai failli m’étrangler dans ce chapitre en lisant que « en France, en pleine expansion de l’épidémie, le taux Ro [ndlr: le R zéro est le taux de reproduction du virus] atteint 3 (30 personnes contaminées par malade), il tombe à 0,5 durant le confinement (5 personnes), et pour maintenir le déconfinement […] il devrait être de 0,6« . Alors qu’en réalité si le taux Ro est de 3, cela signifie que chaque personne infectée (d’ailleurs pas forcément symptomatique ni malade) en contamine 3 autres (et pas 30). Bravo à l’éditeur pour avoir laissé passer une telle bourde, qui perturbe un peu la confiance qu’on pourrait avoir dans le reste des propos de l’auteur.
Bref, un ouvrage qui ne m’a pas convaincue, là où j’attendais quelque chose de plus approfondi et systématique sur « les conséquences du virus dans les relations entre personnes« , sur la façon dont les personnes s’adaptent et réagissent, individuellement et collectivement, quelque chose qui fasse écho à l’image de couverture, par exemple. Mais il s’agit peut-être alors davantage de psychologie ou de sociologie. Globalement, tout cela m’a paru survolé, sans vrai liant entre les chapitres, pourtant censés « dialoguer » deux par deux.
Enfin, en plus de la bourde précitée, je ne félicite pas non plus l’éditeur (universitaire, de surcroît) pour les trop nombreuses coquilles qui émaillent le texte.
En partenariat avec les Editions Academia via Masse Critique de Babelio.
Présentation par l’éditeur:
Confrontée au Sars-Cov-2, l’humanité démunie a affronté la pandémie à l’ancienne. Une année comme un coup de semonce pour avertir de la menace tapie au creux de la violence embusquée dans la montée des inégalités sociales articulée aux effets dus aux changements climatiques.
Qu’il s’agisse de la politique par les chiffres, de la montée de la défiance et du conspirationnisme, des effets culturels de la distanciation sociale ou encore du temps des utopies…, les nombreux débats abordés dans l’ouvrage à partir de l’ancrage de l’anthropologie politique aident à garder la tête hors de l’eau. Dans ce moment incertain, ils prémunissent des explications clé sur porte, simplistes ou pétries de convictions trop rassurantes.