Auteur: Gaël Faye
Editeur: Grasset – 14 août 2024 (224 pages)
Lu en juillet 2024
Mon avis: En 1994, Milan a une douzaine d’années. Fils d’un père français et d’une mère rwandaise, il est né et vit en France, sans que sa mère lui ait jamais parlé de son pays d’origine.
Alors que le génocide fait rage, Milan s’interroge sur le Rwanda, ses racines, sa famille, mais il se heurte au silence de sa mère, exilée en France depuis 1973.
Quelques années plus tard, celle-ci l’emmènera en vacances au Rwanda, où il fait la connaissance de sa grand-mère et de son entourage. Il rentre de ce voyage intrigué, confus, curieux, car il n’a toujours pas reçu les clés d’accès du passé familial ni de l’éventuel impact du génocide sur celui-ci.
Encore ce silence, qui pèse depuis toujours sur la relation entre la mère et le fils.
Ce n’est qu’à la fin de ses études de droit que Milan retournera au Rwanda, sous prétexte d’y observer le fonctionnement des tribunaux gacaca*, pour son mémoire de fin d’études. Après plusieurs allers-retours, il finira par s’y installer et, avec Stella, une toute jeune femme, fille d’une amie de sa mère et qui n’a pas connu le génocide, ils retraceront l’histoire douloureuse de leurs familles. Ils remonteront ainsi sur quatre générations, jusqu’aux prémices du génocide, semées par la colonisation belge et l’Eglise catholique et leur stratégie délétère et fatale du « diviser pour mieux régner », qui a conduit au fil du temps à discriminer et massacrer les Tutsis.
Gaël Faye raconte, avec beaucoup de délicatesse et de douceur, la profondeur de la blessure qui déchire le Rwanda et la complexité des sentiments qui animent encore bourreaux et victimes, trente ans après le génocide. Après un tel carnage, est-il possible de dialoguer, de guérir, d’oublier la haine et la vengeance ? Des mots comme « pardon » et « rédemption » sont-ils seulement audibles pour ceux qui ont vécu et survécu à 1994 et qui se débattent encore avec leurs fantômes et leurs démons ? Et comment concilier le devoir de mémoire avec la volonté et le besoin de la jeune génération de tourner la page et d’aller de l’avant ?
Avec pudeur et émotion, il mêle la quête personnelle de Milan sur ses racines et son identité à la question de la possibilité d’une réconciliation à l’échelle d’un pays, un « petit pays », certes, mais qui a vu plus d’un million de ses habitants massacrés par leurs compatriotes.
Un très bel hommage à un pays perdu, avec l’espoir et la nécessité de reconstruire un vivre ensemble, un jour.
*tribunaux populaires coutumiers ancestraux, réactivés après le génocide pour juger plus efficacement les coupables.
En partenariat avec les Editions Grasset via Netgalley.
#Jacaranda #NetGalleyFrance
Présentation par l’éditeur:
Quels secrets cache l’ombre du jacaranda, l’arbre fétiche de Stella ? Il faudra à son ami Milan des années pour le découvrir. Des années pour percer les silences du Rwanda, dévasté après le génocide des Tutsi. En rendant leur parole aux disparus, les jeunes gens échapperont à la solitude. Et trouveront la paix près des rivages magnifiques du lac Kivu.
Sur quatre générations, avec sa douceur unique, Gaël Faye nous raconte l’histoire terrible d’un pays qui s’essaie malgré tout au dialogue et au pardon. Comme un arbre se dresse entre ténèbres et lumière, Jacaranda célèbre l’humanité, paradoxale, aimante, vivante.
Quelques citations:
– […] Je n’ai pas eu la force d’assister à d’autres procès. Les récits sont insoutenables. Je comprends maintenant pourquoi on dit qu’un génocide est indicible.
– Tu sais, l’indicible ce n’est pas la violence du génocide, c’est la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout.
– Ce pays me troublait, m’effrayait, me répugnait. Partout, il y avait ces visages banals, ces gens normaux, ces hommes et ces femmes ordinaires capables d’atrocités inimaginables et qui étaient parmi nous, autour de nous, avec nous, vivant comme si rien de tout cela n’avait jamais existé. Et sous la terre que nous foulions tous les jours, dans les champs, dans les forêts, les lacs, les fleuves, les rivières, dans les églises, les écoles, les hôpitaux, les maisons et les latrines, les corps des victimes ne reposaient pas en paix.
– A force de marcher, je me suis retrouvé dans les rues de Nyamirambo. Les bars étaient bondés et les buveurs déjà sérieusement ivres. L’alcool déliait le mal-être, adoucissait les souffrances. Si placides le jour, les gens devenaient déraisonnables la nuit venue, buvaient jusqu’à la folie, jusqu’à l’indécence, pour s’oublier, pour se fuir, pour s’échapper quelques heures de leur tête et de leur quotidien, pour écoper la tristesse et faire taire les souvenirs qui perturbaient leurs consciences. La conscience des bourreaux, la conscience des victimes. La conscience d’un peuple, inguérissable.
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