jeudi , 25 avril 2024

Baguettes chinoises

Auteur: Xinran

Editeur: Picquier Poche – 2011 (350 pages)

Lu en novembre 2015

baguettes chinoisesMon avis: Ceci n’est pas un manuel qui vous apprendra en 10 leçons à manger (proprement) de la nourriture asiatique avec des baguettes, ni même un livre de recettes de cuisine chinoise. Non non, on est ici dans le registre de la métaphore. Les féministes parmi vous vont s’étrangler quand ils/elles apprendront que, dans la Chine des années 1990, le terme « baguette » désigne les femmes, tandis que les hommes sont des « poutres ». Autrement dit, la femme est un faible ustensile jetable, et l’homme est fort et indispensable, il n’y a qu’une poutre qui puisse faire tenir une maison (et une maisonnée) debout. Aussi, quand dans un couple, une femme « pond » une fille, c’est la honte assurée. Et quand elle en pond, non pas une, mais six (apparemment la politique de l’enfant unique n’a pas cours dans les campagnes), c’est le père de famille qui perd la face et devient la risée du village, incapable qu’il est d’engendrer des mâles. Et le sort de ces filles est tout sauf enviable : enfants, on néglige de les envoyer à l’école pour les faire travailler aux champs comme des bêtes de somme, plus âgées on les marie au plus offrant. Certaines acceptent leur sort, d’autres se suicident. Quelques-unes prennent leur courage à deux mains et partent travailler à la ville pour prouver qu’elles sont capables de gagner de l’argent aussi bien (et parfois mieux) que les hommes. Le premier contact avec le monde urbain est pour elles un véritable choc des cultures, entre une Chine des campagnes quasiment moyenâgeuse, et une Chine des villes en plein boom économique, immobilier, technologique et même culturel, qui entre de plain pied dans l’ère des mégapoles tentaculaires et surpeuplées, victime d’un exode rural massif.

Ce roman raconte l’histoire de Trois, Cinq et Six, trois soeurs à qui leurs parents n’ont pas jugé utile de donner un vrai prénom (après tout ce ne sont que des filles). Attirées par les mirages de la vie citadine, elles quittent pour la première fois de leur jeune vie leur village natal pour débarquer à Nankin. Elles trouvent chacune du travail, assez facilement, et font de colossaux efforts d’adaptation à leur nouvelle vie, essayant tant bien que mal de masquer leurs origines provinciales et d’éviter de passer pour des gourdes ignares. Bien entourées, elles apprennent vite, et un nouveau monde, qui leur semble souvent étrange, s’ouvre à elles, ébranlant quelques-unes de leurs certitudes au passage.

Cette histoire est inspirée de témoignages recueillis par l’auteur journaliste lors de ses reportages aux quatre coins de la Chine dans les années 90. Xinran retrace le parcours de ces jeunes femmes avec une grande bienveillance, entre découragement et force de caractère, situations embarrassantes ou cocasses, candeur et ignorance. Ce qui donne parfois au livre un ton un peu puéril, limite gnan-gnan. Ce roman n’est pas très bien écrit, il n’a pas le souffle épique de « Funérailles célestes », mais a le grand mérite de fort bien documenter la condition des femmes dans la Chine contemporaine.

Présentation par l’éditeur:

Sœurs Trois, Cinq et Six n’ont guère fait d’études, mais il y a une chose qu’on leur a apprise : leur mère est une ratée car elle n’a pas enfanté de fils, et elles-mêmes ne méritent qu’un numéro pour prénom. Les femmes, leur répète leur père, sont comme des baguettes : utilitaires et jetables. Les hommes, eux, sont les poutres solides qui soutiennent le toit d’une maison. Mais quand les trois sœurs quittent leur foyer pour chercher du travail à Nankin, leurs yeux s’ouvrent sur un monde totalement nouveau : les buildings et les livres, le trafic automobile, la liberté de mœurs et la sophistication des habitants… Trois, Cinq et Six vont faire la preuve de leur détermination et de leurs talents, et quand l’argent va arriver au village, leur père sera bien obligé de réviser sa vision du monde. C’est du cœur de la Chine que nous parle Xinran. De ces femmes qui luttent pour conquérir une place au soleil. De Nankin, sa ville natale, dont elle nous fait voir les vieilles douves ombragées de saules, savourer les plaisirs culinaires et la langue truculente de ses habitants. Et d’un pays, une Chine que nous découvrons par les yeux vifs et ingénus des trois sœurs, et qui nous étonne et nous passionne car nous ne l’avions jamais vue ainsi.

Quelques citations:

– « Et son coeur, vierge comme une feuille de papier blanc, était naturellement avide de la moindre émotion qu’on ferait naître en lui ».

– « A vrai dire, Six trouvait certains livres des amis de Guan Buyu très subversifs, notamment ceux qui fustigeaient le Parti communiste, et tous ces plaidoyers en faveur de la démocratie ou du multipartisme. Une Chine sans Parti communiste pouvait-elle être démocratique? Comment osait-on proférer de telles insanités? »

Evaluation :

Voir aussi

Si par une nuit d’hiver un voyageur

Auteur: Italo Calvino Editeur: Seuil – 1981 (276 pages)/Folio – 2015 (400 pages) Lu en …

3 commentaires

  1. Un documentaire plus qu’un roman, riche d’enseignements sur le pays du Soleil levant.

  2. Celui-ci aussi je vais me le noter. Pourtant, j’ai du mal avec la littérature asiatique, va savoir pourquoi…