Auteur: Léa Murawiec
Editeur: Editions 2024 – 20 août 2021 (204 pages)
Lu en décembre 2021
Mon avis: Savez-vous si, dans votre ville, votre pays ou au-delà, vous avez un homonyme ? Une personne qui a les mêmes nom et prénom que vous, et pas grand-chose d’autre en commun ? Parfois cela génère des situations cocasses ou des tracas administratifs, mais rien de comparable à ce qui arrive à Manel Naher, l’héroïne de ce roman graphique dystopique, puisqu’ici il s’agit ni plus ni moins que d’une question de vie ou de mort.
Car dans le monde de Manel, la vie des gens dépend de leur Présence. C’est-à-dire de leur existence dans les pensées des autres. C’est-à-dire que si personne ne pense à vous, vous mourrez. Alors pour qu’on pense à eux, les gens affichent leur nom sur des pancartes qu’ils accrochent partout dans les rues, aux fenêtres, sur les murs. Certains font tout et n’importe quoi pour devenir célèbres et obtenir suffisamment de Présence pour atteindre le but ultime : l’Immortalité. A l’autre extrême, les pauvres ne mendient pas de l’argent ou de quoi manger, mais des regards. D’autres paient des sociétés privées qui paient des salariés pour lire les listes des noms de leurs clients à longueur de journée. C’est le boulot de Manel.
Le reste de son temps, elle le passe à fouiner dans une librairie, ou à discuter avec son meilleur ami des possibilités d’échapper au système infernal de cette mégalopole toute en verticalité. Elles sont peu nombreuses : hors des limites de cette ville tentaculaire, il n’y a rien. C’est le Grand Vide. Enfin, c’est ce que la plupart des gens croient, ou veulent croire. Malgré les risques et les inconnues, Manel et son ami préparent pourtant leur départ en secret.
Et c’est là qu’intervient l’autre Manel Naher, chanteuse à succès de plus en plus célèbre. Et plus elle devient populaire, plus notre Manel dépérit, puisque de plus en plus de gens pensent à la vedette, et de moins en moins à Manel la souris de librairie, dont la famille et l’entourage sont, en plus, assez restreints. Manel tombe malade, on lui prescrit un traitement de choc consistant à lui organiser des tas d’activités, inintéressantes au possible, mais qui lui apporteront un peu de cette Présence vitale…
« Le grand vide » est donc une fable dessinée, une métaphore d’un mal-être actuel, à savoir la conviction de certaines personnes que pour exister, il faut se distinguer de la masse, être présent sur les réseaux sociaux et récolter plus de likes que les autres. Être célèbre et populaire, mais donc être dépendant du regard des autres. Est-ce cela, exister ? Une addiction à l’attention virtuelle et souvent éphémère d’inconnus ? Tout le contraire de « pour vivre heureux, vivons cachés ».
« Le grand vide » est une satire sur le sens de la vie à l’heure du virtuel, un sujet profond dont la pesanteur est compensée par la forme : un dessin en quadrichromie, plein d’énergie, dynamique, bouillonnant, explosif même. Le propos est parfois trop elliptique, on ne comprend qu’après coup les césures qui font avancer la narration, et la fin un peu facile m’a laissée perplexe. Malgré cela, « Le grand vide » est un premier roman graphique qui sonne juste, audacieux et prometteur.
Présentation par l’éditeur:
« Mais… Manel Naher, c’est moi ! » Qui est donc cette autre Manel Naher, qui fait la Une des journaux ? Elle fait de l’ombre à Manel Naher, la vraie Manel Naher, l’héroïne de cette histoire ! Elle ne se rend pas compte qu’elle la met en danger, la vraie Manel Naher, en ayant tout ce succès ? Vous comprenez, si tout le monde se met à penser à cette Manel Naher qui devient célèbre, au lieu de penser à Manel Naher, qui passe ses journées au fond d’une petite librairie… eh bien : on risque de l’oublier, notre Manel. Et dans ce monde, si l’on ne pense plus à vous, alors vous mourrez, tout simplement. Penser à quelqu’un, c’est lui donner de la Présence. L’horizon, ici, est barré par les milliers de noms qui s’affichent de toutes parts, et les mendiants ne quémandent qu’une seconde d’attention… Survivre pour certains, devenir Immortel pour d’autres : c’est la Présence qui fait tourner cette ville tentaculaire. Manel, elle, tournerait volontiers le dos à tout ça ; mais là-bas, au delà des gratte-ciel, il n’y a que le Grand Vide, d’où personne n’est jamais revenu…
Léa Murawiec met ici son dessin virtuose au service d’un récit riche et lumineux, au rythme bouillonnant. Son talent et sa maîtrise illuminent ce premier livre enthousiasmant, et on se laisse avec bonheur emporter dans ce Grand Vide !