Auteur: Claudia Piñeiro
Editeur: Actes Sud/Babel – 2014 (320 pages)
Lu en avril 2016
Mon avis: Les « veuves du jeudi », c’est le surnom que s’est donné un petit groupe de femmes dont les maris, une soirée par semaine, se réunissent entre messieurs de bonne compagnie. « Veuves » au sens figuré et humoristique, certaines d’entre elles vont le devenir, au sens propre et sans le moindre humour, après que l’une de ces soirées « gentlemen only » se soit terminée en drame.
Un accident (voire pire) qui vient perturber la tranquillité chèrement payée de Los Altos de la Cascada, voilà qui était pourtant inimaginable. Résidence ultra-sécurisée à l’américaine sur les hauteurs de Buenos Aires, destinée exclusivement aux familles fortunées et « bien sous tous rapports », La Cascada est censée être un paradis à l’écart du bruit et de la fureur de la ville, protégée de l’insécurité et de la pauvreté des gens ordinaires – sauf les domestiques – par des portiques de sécurité et des autorisations d’entrée signées en quatre exemplaires.
Au coeur de ce rêve doré, réalisé à coups de billets de banque par quelques privilégiés, la vie n’est cependant pas idyllique. Dans ce monde du paraître, fondé sur les apparences, la superficialité est, de fait, portée au rang de valeur, la perfection est une nécessité, et faire toujours mieux que les voisins une obligation qui ne dit pas son nom. Cette pression sociale, obsessionnelle pour certains, se transforme en tension difficilement soutenable quand l’Argentine plonge dans la crise économique au tournant des années 2000. Celle-ci n’épargne pas les riches, qui ont de plus en plus de mal à faire correspondre porte-monnaie et sacro-sainte illusion d’aisance. Pour eux qui croyaient que l’argent faisait le bonheur, imaginez la tragédie quand la source se tarit…
Débutant par l’ « accident » qui se produit quelques jours après le 11 septembre 2001, ce roman repart ensuite quelques années en arrière pour poser le décor et amener peu à peu les prémices du drame. Le fait que le petit monde de Los Altos s’effondre peu après les tours du WTC n’est pas anodin : le mode de vie des classes aisées argentines était calqué sur le « modèle » états-unien, en témoignent les « countries » tels que Los Altos et les nombreux anglicismes, ainsi que, sur un autre plan, la politique ultra-libérale des années 1990 et la parité dollar/peso argentin, aberration économique qui, entre autres, mènera le pays à la catastrophe.
Dans cette chronique féroce des malheurs de ces « pauvres petites gens riches », l’auteur livre une étude sociologique implacable de ce milieu huppé, de ses codes et rituels, dans lequel le bling-bling cache mal l’hypocrisie ambiante. Caustique, elle n’y va pas avec le dos de la petite cuiller en argent pour décrire les comportements des résidents de Los Altos, soumis de plein fouet aux affres de la crise qui, terrible comme la Grande Dépression de 1929, en conduira plus d’un au désespoir.
Présentation par l’éditeur:
Derrière les grillages et les barrières de sécurité se cache un écrin de verdure à la périphérie de Buenos Aires, un havre de paix à l’abri du tumulte d’une capitale grouillante et tentaculaire. Une poignée d’amis se réunissent chaque semaine pour discuter entre gentlemen ; leurs épouses, exclues de ces soirées, se surnomment avec humour « les veuves du jeudi ». Une funeste nuit de la fin septembre 2001, les hommes sont retrouvés électrocutés au fond d’une piscine, et l’attitude du seul rescapé laisse à penser qu’il pourrait ne pas s’agir d’un simple accident…
Tandis que les façades clinquantes se fissurent et que l’on découvre les grands secrets et les petites misères de ces nantis, Claudia Piñeiro porte un regard sans complaisance sur une société hypocrite et ostentatoire mise en péril par l’effroyable crise économique qui va mettre l’Argentine à terre. Un suspense sociologique d’une lucidité imparable.
Une peinture au vitriol de ce petit monde argentin et huppé…
en effet…