Auteur: Christoph Hein
Editeur: Métailié – 24 janvier 2019 (400 pages)
Lu en janvier 2019
Mon avis: Konstantin Boggosch est coupable. Coupable d’avoir eu un père nazi, criminel de guerre, pendu à ce titre en 1945. Quoi qu’il dise ou fasse, Konstantin devra porter ce poids, cette ombre écrasante, sa vie durant. Pourtant il n’a même pas connu ce père, mort juste avant sa naissance. Il ne porte même pas son nom mais celui de sa mère, qui s’est arrangée après la guerre pour récupérer son nom de jeune fille et faire modifier celui de ses deux fils. Konstantin a beau se désolidariser entièrement des faits et gestes monstrueux de son géniteur, le désavouer, rien n’y fait, son dossier ressurgit toujours, « grâce » à l’administration exemplaire de la RDA, qui n’oublie jamais rien. Empêché de s’inscrire au lycée en raison de sa filiation, Konstantin s’enfuit en France, seul, à 14 ans. Débrouillard, sans rien révéler de l’histoire de son père, il arrive à se faire embaucher à Marseille comme traducteur par un groupe d’anciens résistants. En parallèle, il suit des cours du soir pour pouvoir passer le bac, mais son honnêteté foncière ne lui permet pas de continuer à mentir à ses nouveaux amis à propos de son passé. Alors, à la construction du Mur, il rentre en RDA, à contre-courant de tous ceux qui essaient de fuir à l’Ouest à la dernière minute. Mais là encore, la tache noire de ses origines lui mettra des bâtons dans les roues pendant ses études puis sa carrière de professeur, l’empêchant d’obtenir postes et promotions alors même qu’il est de loin le plus compétent et le plus apprécié de ses collègues et de ses étudiants. Las! la bureaucratie pro-soviétique est sourde comme un pot à ce genre d’arguments…
Avec « L’ombre d’un père », je ne m’attendais pas à être embarquée dans des aventures aussi prenantes, captivantes. On pourrait reprocher à ce livre d’être froid, très descriptif et factuel, et de ne laisser que peu de place à l’émotion. Mais je pense que cela colle très bien avec le caractère de Konstantin, obligé très tôt de s’endurcir, qui cherche par tous les moyens à vivre sa vie et à se libérer de l’emprise post mortem de son père, et qui préfère l’action à l’auto-apitoiement. Si sa vie d’adulte est plutôt « rangée », les aventures à l’adolescence de ce gamin plein de ressources, déterminé et droit, sont incroyables.
A travers la vie de Konstantin, ce sont 60 ans d’histoire (est-)allemande qui sont balayés, et je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, alors qu’à l’Ouest on parlait Mai 68, Woodstock et Flower power, les « Ossis » étaient bel et bien prisonniers derrière le Mur. Combien de destins se sont vu couper les ailes, piégés, au nom d’une idéologie implacable et de logiques absurdes ? Et ici, on ne peut même pas se consoler en se disant que c’est une fiction, parce que, comme le dit l’auteur, « des événements authentiques sont à l’origine de ce roman. Les personnages ne sont pas inventés« .
« Mon père a tellement d’être humains sur la conscience. Et maintenant en plus, il m’assassine, moi« . Héritier malgré lui d’un père qu’il renie, Konstantin Boggosch est une victime du gâchis perpétré par un système politique inepte, et le héros marquant de ce grand roman d’apprentissage, d’histoire et d’aventures.
En partenariat avec les Editions Métailié.
Présentation par l’éditeur:
« Des événements authentiques sont à l’origine de ce roman. Les personnages ne sont pas inventés », écrit l’auteur.
Konstantin n’a jamais connu son père, nazi notoire et criminel de guerre. Toute sa vie, il n’a de cesse de fuir ce lourd héritage : il change de nom, quitte son pays, tente de s’enrôler dans la Légion étrangère, devient secrétaire pour un groupe d’ex-résistants à Marseille, avant de revenir en RDA après la construction du mur. Mais sa vie sera toujours menacée par l’existence du « dossier » de ses origines, il est celui à qui on doit barrer la route dans un système organisé pour promouvoir la médiocrité.
Sous les apparences d’un formidable roman d’apprentissage, mené par un jeune homme énergique et sympathique, Christoph Hein nous fait traverser soixante ans d’histoire allemande et déploie une bouleversante réflexion sur la mémoire historique.
Une citation:
– Nous apprenons le français et l’anglais, mais n’avons pas le droit de nous rendre dans ces pays. Et maintenant, depuis la construction du mur, c’est sans espoir. N’est-ce pas insensé d’apprendre des langues étrangères quand on est enfermé derrière un mur? C’est pareil que si on lisait un livre de cuisine sur une île déserte. C’est fou, tout simplement fou!