Auteur: Anna Enquist
Editeur: Babel – 2017 (304 pages)
Lu en juin 2018
Mon avis: « La musique adoucit les moeurs », et les quatre personnages principaux de ce « Quatuor » en ont bien besoin. Musiciens amateurs de bon niveau, les quatre amis se réunissent régulièrement pour noyer dans la musique classique leurs difficultés personnelles et professionnelles. Il y a Hugo, directeur d’un centre culturel sur le point de sombrer corps et âme faute de subsides. Heleen, sa cousine, est une infirmière dévouée qui ne pense qu’à aider les autres au risque de s’oublier elle-même. Quant à Caroline, médecin généraliste, et son époux Jochem, luthier, ils partagent un deuil immense qui menace de fissurer leur couple. A la périphérie de ce quatuor, gravite un cinquième personnage, Reinier, ancien violoncelliste virtuose et ancien professeur de Caroline et Hugo, désormais cloîtré chez lui par un genou arthritique et surtout par une paranoïa tragi-comique à l’égard du monde extérieur.
Il ne se passe pas grand-chose de joyeux dans ce roman légèrement dystopique, situé dans une ville qui semble le sosie d’Amsterdam. L’avenir qui s’y dessine est peu réjouissant : la culture, ce luxe inutile et élitiste, n’est plus subventionnée par les pouvoirs publics, et les personnes âgées, lorsqu’elles ne sont plus autonomes, sont parquées, parce que c’est budgétairement plus rentable, dans des mouroirs qui ne disent pas leur nom. Même l’altruisme et le bénévolat semblent ici tourner en bourrique, lorsqu’on comprend qu’ils sont à l’origine de l’épisode final, aussi explosif qu’absurde, causant de violents « dommages collatéraux » aux personnages, dont on ne saura pas comment ils s’en relèveront.
Déshumanisation, course au profit et à l’efficacité, corruption, incurie, égoïsme, Anna Enquist annonce et dénonce les maux d’une société moins futuriste qu’il n’y paraît. Inquiétant et pessimiste, Quatuor brasse les thèmes du deuil, de la vieillesse et du règne de l’argent, et leur oppose l’amitié, la compassion et la douceur de la musique, mais celles-ci ne font guère le poids. Ce roman est intelligemment construit, écrit avec sobriété et élégance, à la fois psychologique et poétique. Touchant et désespérant, quelques grammes de finesse dans un monde cruel.
Présentation par l’éditeur:
Caroline (violoncelle) est médecin généraliste ; Jochem (alto) est luthier ; Heleen (deuxième violon) est infirmière ; Hugo (premier violon) dirige un centre culturel qui n’en a plus que le nom… Dans un avenir proche et dans une ville qui ressemble étrangement à Amsterdam, quatre amis à qui la pratique musicale offre un dérivatif bienvenu à une vie professionnelle ou personnelle difficile forment un quatuor amateur. À cet ensemble musical s’ajoute la figure tutélaire de Reinier, ancien soliste virtuose auprès de qui Caroline prend des leçons, vieillard vivant reclus dans la terreur du monde qui l’entoure. Tandis que la musique de Mozart, Schubert ou Dvořák agit comme une consolation pour les amis, la ville alentour est le théâtre d’une affaire criminelle qui, de prime abord, ne semble pas les concerner…
Dans un roman âpre articulé autour d’une intrigue digne d’un thriller, Anna Enquist s’inquiète des dérives d’une société où la culture serait un luxe inutile, l’assurance maladie un privilège et la vieillesse une disgrâce.