Quand j’étais jeune, je ne voulais pas vieillir.
Quant j’ai été moins jeune, j’ai accepté de commencer à vieillir, mais à condition de rester en bonne santé.
J’avais dit à mon entourage que je ne voulais pas mourir lentement « des suites d’une longue maladie », ou finir comme un légume après un AVC, dépendante d’infirmières, de tuyaux et de machines.
Je voulais mourir vivante et libre, d’un seul coup, sans y penser.
Si j’en avais eu le temps, j’aurais donné des instructions écrites à mes proches, pour les autoriser à abréger mes souffrances au cas où je n’en aurais plus été capable seule. Je leur avais dit: « surtout pas d’acharnement ». Ils m’avaient répondu: « bien sûr, c’est évident ».
Mais me voilà aujourd’hui à écrire ces mots, entre deux voiles de confusion.
D’ailleurs je ne suis plus très sûre de ce que j’ai affirmé il y a quelques années (c’était peut-être hier?), je ne sais même pas si ce que je vous raconte est réel, ou si je l’ai rêvé cette nuit.
Si même j’ai vraiment pensé un jour que je serais confrontée à pareille issue. On veut toujours croire que ça n’arrive qu’aux autres, n’est-ce pas ?
On refuse de penser qu’on pourrait soi-même en être victime.
En tout cas moi je n’ai pas pu l’admettre. Je ne pouvais pas imaginer que ma mémoire s’évaporerait, que mon cerveau se détruirait à petit feu, que je ne saurais plus parler, marcher, que je régresserais sans espoir de retour.
Mais je me perds, il faut que je relise ce que je viens d’écrire et que j’ai déjà oublié.
Mon écriture n’est plus très lisible, elle est hésitante, je suis sûre que j’y verrais mieux avec des lunettes, mais on me les a prises, ou je les ai perdues, je ne sais plus.
Je sais que je dois écrire, mais je ne sais plus pourquoi. Est-ce parce que j’en ai envie ou besoin, me l’a-t-on demandé ? Et qui ? J’ai oublié, j’ai du mal à me concentrer, je n’y arrive plus…
Bon je crois que ce n’est pas très grave si je ne finis pas mon devoir, les institutrices sont gentilles ici, on n’est jamais punis.
Un frisson court dans ma nuque et autour de mon crâne, j’ai peur, je crois que les voiles vont bientôt se refermer…
J’entends qu’on frappe à la porte, mais je n’en suis pas très sûre, le bruit est lointain, étouffé, peut-être n’existe-t-il que dans ma tête fatiguée…
Quelqu’un entre et me parle : « Bonjour Madame, comment ça va aujourd’hui ? »
Je reconnais la personne. Rassurée, je lui réponds : « Bien, merci, la vie est belle ici, je n’en voudrais pas d’autre ».
Enfin, je crois.