jeudi , 21 novembre 2024

Texte-à-moi #17: Inspiration

Ca y est, il est revenu, il est là, dans mon dos ou au-dessus de ma tête, je ne sais pas, je ne veux pas regarder autre chose que la page blanche devant moi.

Il m’observe, je sens son regard peser sur ma nuque. Il ne bouge pas, il ne me touche pas, mais son pouvoir est tel qu’il maintient mon avant-bras plaqué sur la table du coude jusqu’au poignet, mes doigts suspendus à quelques centimètres de hauteur, et qu’il empêche ma main de faire courir mon stylo sur le papier. Il souffle un air glacé, mon cerveau gèle, se fige et n’arrive plus à aligner deux pensées. Puis il tourne à fond le thermostat, mon esprit surchauffe, et les idées se bousculent et se télescopent et surgissent en confetti ou en serpentins emmêlés. Et ma page reste blanche.

Il me semble l’entendre ricaner, perché sur la quatrième étagère de la bibliothèque, celle qui est consacrée aux romans de science-fiction. Comme s’il sortait d’entre ces pages. Il a de la suite dans les idées, lui. Pas comme moi à cet instant.

« Ecrire une nouvelle sur le thème des monstres, ahahah, mais qu’est-ce qui lui prend ? Elle croit donc qu’elle a assez d’imagination pour ça ? Depuis le temps qu’elle essaie, elle aurait dû comprendre qu’elle n’y arrivera jamais. Quelle entêtée ! »

Sa voix résonne dans ma tête, je suis la seule à l’entendre, c’est mon monstre à moi, sur mesure, exclusif. A tel point personnalisé que je n’arriverai jamais à le refourguer à quelqu’un d’autre, même en soldes. Si seulement il y avait une déchetterie pour ce genre d’encombrants…

Pourtant cette fois-ci, il me semble que le ton n’est pas aussi sarcastique que d’habitude ; j’y devine une pointe de curiosité. Il serait ravi de me voir me planter, et en même temps il veut savoir comment je relève le défi.

Ou c’est peut-être moi qui lui prête des intentions un peu moins malveillantes, pour une fois… Ou alors il vieillit, il fatigue, il n’est pas assez payé pour me casser la tête…

Un peu de vent frais entre par la fenêtre ouverte et provoque un courant d’air, qui chasse le poids sur ma nuque. Je prends une grande inspiration, ma main se pose sur mon cahier et mon stylo se met à courir sur la feuille. Je sais qu’il est là, dans chaque rature, mais peu à peu le calme se fait dans ma tête, les idées éparpillées se rassemblent et se mettent en rang, et je continue, oubliant ce qui m’entoure. Quelques heures et un point final plus tard, je relève la tête et le stylo, et je sens que l’espace derrière moi est vide, libéré.

Mais où est-il donc passé ? Il ne va pas me manquer, tout de même ?

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