Auteurs: Diane Foley et Colum McCann
Editeur: Belfond – 4 janvier 2024 (208 pages)
Prix Transfuge 2024 du meilleur roman anglo-saxon
Lu en décembre 2023
Mon avis: Diane Foley est la mère du journaliste américain James Foley, enlevé en Syrie en 2013 et exécuté en août 2014 par Daech, dans une mise en scène macabre (la vidéo, diffusée sur internet, de la décapitation du jeune homme, ironiquement affublé d’une combinaison orange semblable à celle des détenus de Guantanamo, avait profondément choqué à l’époque). Cette exécution (et celles d’autres otages par la suite) symbolise les représailles de Daech à l’encontre de l’intervention militaire de la coalition internationale en Irak et en Syrie, dans la foulée des printemps arabes, et emmenée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Le but : créer un sentiment de terreur, obtenir le paiement de rançons, mettre fin à l’ingérence occidentale.
Ce que Diane Foley ignore au moment où son fils est enlevé, c’est que le gouvernement américain n’a aucune intention de négocier avec les terroristes pour sauver ses ressortissants, contrairement à d’autres pays (la France ou l’Espagne, par exemple ; ce qui, soit dit en passant, n’a pas évité à ces Etats d’être frappés par des attentats sur leur propre sol). A l’instar du Royaume-Uni, les USA adoptent une position de principe : on ne discute pas avec les preneurs d’otages. Et même : on menace de poursuites judiciaires les familles qui tenteraient de négocier elles-mêmes. En dernier recours, on tente bien une mission commando de sauvetage, exorbitante en moyens humains et techniques, mais vouée à l’échec vu le manque de connaissances actualisées du terrain.
Quelle est l’alternative, dans ce cas ? C’est là toute l’horreur, tout le gâchis que découvre peu à peu Diane Foley : il ne se passe rien. « En toute franchise, notre gouvernement était en piteux état. Nous n’avions pas d’agence, pas de service chargé d’aider au retour des Américains enlevés à l’étranger. Beaucoup de bavardages, mais peu de réponses. Il y avait le département d’Etat, le FBI, l’armée et douze autres agences de renseignement, mais aucun ne savait vraiment ce que les autres faisaient. On sombrait dans le désordre. En matière de prises d’otages, les Etats-Unis appliquaient théoriquement une politique de non-négociation et de non-concession, mais c’était synonyme de paralysie. Nous soutenions des politiques, pas nos concitoyens ». Avec ce paradoxe cruel que la logistique de la capture, du procès et de l’emprisonnement des bourreaux aux USA (et il ne fait aucun doute que, comme tout Etat de droit, les USA se doivent de leur accorder toutes les garanties d’un procès équitable) a probablement coûté bien plus d’argent public que les potentielles rançons qui auraient ramené les otages vivants. « Pourquoi avons-nous eu droit à une équipe de bras cassés (avec une absence totale de coordination) quand Jim a été capturé, et à une unité d’élite (le meilleur de la justice américaine) après son assassinat ? Telle est la question qui me hante. Pourquoi avoir dépensé autant de temps et d’argent dans les conséquences de sa mort et si peu dans le prolongement de sa vie ? Pourquoi sommes-nous devenus d’une précision chirurgicale seulement après sa décapitation ? Où sont nos priorités ? »
Ce livre, mis en mots avec l’aide de Colum McCann, relate à la fois le parcours, dans les dédales de l’administration et jusqu’à la Maison Blanche, d’une mère combattant pour que son fils soit sauvé puis, après sa mort, pour qu’il ne soit pas oublié, ni les autres otages à travers le monde, et son lobbying pour que les USA développent enfin une « politique des otages » à l’étranger. Mais il y est aussi, évidemment, question de James et de la naissance de sa vocation à aller à la rencontre et à témoigner de la réalité des sans-voix. Diane Foley aborde aussi sa rencontre avec l’un des ravisseurs et le procès d’un autre de ceux-ci. Elle nous fait part de ses questionnements existentiels tout au long de cette épreuve : pardonner, accepter les excuses, se méfier d’une possible manipulation des sentiments, croire à l’amendement sincère, garder la foi face à une telle horreur ?
Hommage à son fils, travail de mémoire, plaidoyer pour un changement de politique et de lois, charge virulente – malgré un profond patriotisme – contre l’incurie de l’administration américaine, ce livre est le témoignage impressionnant d’une femme et d’une mère digne, droite, tenace, courageuse et remplie de compassion, qui n’a eu de cesse de chercher à comprendre et de continuer à avancer en s’accrochant à sa foi et à son humanisme.
En partenariat avec les Editions Belfond via Netgalley.
#AmericanMother #NetGalleyFrance
Présentation par l’éditeur:
Comment rester debout face à la violence, à l’horreur ? Comment regarder dans les yeux celui qui vous a enlevé ce que vous aviez de plus précieux ? Comment pardonner à l’assassin d’un des siens ? Comment garder espoir quand tant d’atrocités sont commises au nom de la religion ?
Toutes ces questions qui nous assaillent dans une actualité toujours plus tragique, Colum McCann y a été confronté lors de sa rencontre avec Diane Foley. Jour après jour, il l’a accompagnée au procès des bourreaux de Daech et a vu cette mère au courage exceptionnel puiser dans sa foi et son humanisme la force d’affronter un de ceux qui ont torturé et décapité son fils, le journaliste américain James Foley.
De cette expérience hors normes, Colum McCann a tiré un texte puissant, vibrant d’intelligence et de compassion. Une œuvre forte pour redonner voix à tous ceux qui souffrent et luttent contre les fanatismes, quels qu’ils soient.
Quelques citations:
– [A propos du refus de principe des autorités US de négocier avec les ravisseurs, et de la mission de sauvetage lancée par ces mêmes autorités, qui fut un échec:]
En réalité, l’opération a échoué parce que notre gouvernement avait attendu que toutes les négociations des autres pays pour leurs otages soient terminées. Il y a la diplomatie, certes, et il y a la courtoisie, mais il y a aussi la bêtise. Plus que tout, j’aurais aimé que nos responsables abordent l’ennemi par la négociation. Imaginez s’ils avaient pu faire du retour des otages américains une priorité. Imaginez le coût et les risques de cette mission Delta. Imaginez s’ils avaient dépensé cette même somme autrement: dans l’aide humanitaire, dans l’effacement de la dette, dans la pression des ONG. Imaginez s’ils s’étaient servis de la rançon comme d’un leurre pour traquer les ravisseurs. Imaginez s’ils avaient pu faire marcher leur cervelle plutôt que de faire jouer la force brute. Ce n’est pas pour rien que les concepts de force brute et d’ignorance sont si souvent jumelés.
– Et ce qui réduit souvent le nombre de prises d’otage – rien d’étonnant à cela – est la capacité de résolution d’un conflit par la négociation directe. C’est un fait: la discussion fonctionne dans bien des cas. Au bout du compte, le dialogue est une des armes les plus puissantes qui soient. Savoir employer le bon langage est presque toujours essentiel. La limite de notre langage est la limite de notre vision.
Historiquement parlant, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont les pays dont les citoyens sont les plus pris en otage. Notre ligne de conduite est de ne jamais faire de concessions, et pourtant nos concitoyens sont plus souvent enlevés qu’ailleurs. Cela remet inévitablement en cause la pertinence et l’efficacité de cette politique – que le secrétaire d’Etat William P. Rogers avait en son temps qualifiée de « virile ».
Monsieur Rogers, peut-être serait-il temps d’instiller une dose de féminité? qu’on l’appelle dignité, sens de la nuance ou perspicacité, cela pourrait faciliter le retour de nos êtres chers. Je n’y vois en rien un cri de ralliement extrémiste. J’y vois une vérité toute simple.
– [A propos du suivi médiatique du procès, aux USA, d’un des ravisseurs:]
Quand j’ouvrais les journaux le matin ou quand je traversais le hall de l’hôtel et levais les yeux vers les écrans, je voyais surtout le visage de Johnny Depp – son procès contre Amber Heard se déroulait à quelques kilomètres de là, à Washington. Sans vouloir dénigrer l’affaire Depp et Heard, je ne voulais pas que la vie de quatre jeunes Américains et un procès potentiellement historique soient relégués au second plan. Notre pays devait connaître l’histoire des otages assassinés. […] Un terroriste international était traduit en justice sur notre sol. On ne l’envoyait pas à Guantanamo, on ne le mettait pas en laisse à Abou Ghraïb. C’était même tout le contraire. Le procès d’El Shafee El-Sheikh incarnait le système dans ce qu’il avait de meilleur, de plus digne et de plus équitable: un jury plutôt qu’une balle. Tant de ce qui s’était déroulé au Moyen-Orient avait entaché l’âme américaine. Nous tenions là une occasion de nous racheter.
Mais les caméras américaines n’étaient pas intéressées, à l’exception d’une jeune femme de CBS. La plupart des grands journaux américains sont venus au début et à la fin.
J’avais honte. Honte pour mon bien-aimé pays. Honte de voir l’indifférence terne qui se manifestait, la mémoire courte, la capacité d’attention infime, le mépris du passé, la fascination veule vis-à-vis de la célébrité, sans parler de l’arrogance montrée au reste du monde et de notre entêtement à ne pas comprendre les conflits étrangers. Mais si nous ne pouvions pas nous comprendre nous-mêmes chez nous, comment comprendre les autres chez eux?
Je le lis bientôt
Bonne prochaine lecture!