Auteur: Pavel Vilikovsky
Editeur: Phébus – 7 mars 2019 (224 pages)
Lu en mars 2019
Mon avis: Sur la route, le narrateur (double de l’auteur?) s’y est lancé peu de temps après la chute du Mur de Berlin et la Révolution de Velours en Tchécoslovaquie. Editeur slovaque « officiel » et vieillissant, il se met à parcourir l’Europe, enfin, surtout l’Allemagne et l’Autriche, pour y faire la promotion de la littérature de son pays. Oui mais voilà, quel est donc ce pays ? Après avoir été hongroise, austro-hongroise, englobée dans la Tchécoslovaquie, aujourd’hui en pleine ère post-communiste et dans les remous de la scission d’avec la Tchéquie, quelle peut bien être l’identité, la spécificité de la nation slovaque ? Au fil de ses pérégrinations, il ne cesse de s’interroger à ce propos, constatant que son pays, au mieux, indiffère les étrangers, quand ils n’en ignorent pas l’existence ou le confondent avec un autre. Et donc, sillonnant cette partie de la Mitteleuropa, le narrateur, ironique et désabusé, nous fait part de ses réflexions sur l’identité et le concept de nation, mais aussi sur le déclin de la Littérature, la vraie. Obsédé par l’auteur autrichien Thomas Bernhard et par les invectives furibondes de celui-ci envers ses propres compatriotes, il nous livre en miroir une critique de la société slovaque certes moins acerbe que celle de son auteur fétiche, mais tout aussi pointue et lucide. Sa rencontre avec une jeune Autrichienne vivant aux USA est, quant à elle, l’occasion de méditations plus intimes sur sa vie privée, et d’une scène d’ « amour » (que j’ai trouvée à la limite du grotesque) qui est moins la rencontre de deux désirs que la conjoncture du désespoir et de la sollicitude.
Si le narrateur voyage sur les routes d’Europe et se promène sur les chemins de la réflexion littéraire, moi il m’a laissée sur le bord de ces routes, me perdant dans ses digressions, belles et intéressantes mais parfois trop riches. Sans doute en raison de mon manque de connaissance de l’histoire et de la culture slovaques, beaucoup de références m’ont échappé et m’ont empêchée d’apprécier à sa juste valeur ce texte d’un auteur considéré comme le plus connu des auteurs slovaques contemporains.
En partenariat avec les Editions Phébus via Netgalley.
Présentation par l’éditeur:
Au moment de la disparition du rideau de fer, un intellectuel de Bratislava obsédé par Thomas Bernhardt se met à sillonner l’Europe occidentale, ou plutôt « l’Europe des alentours », soit l’Autriche et l’Allemagne. Tour à tour voyageur incognito ou « Slovaque officiel » chargé de promouvoir la culture de son pays, il est confronté au mieux à la curiosité de publics intrigués par l’homme post-communiste, au pire à l’ignorance ou à l’indifférence. Toutefois, et contre toute attente, il rencontre l’amour, incarné par Margareth, ou Gretka. Autrichienne installée aux États-Unis, c’est aussi une figure du dépaysement, des identités mêlées et/ou contradictoires avec qui le monologue devient dialogue, sans rien perdre de son ironie et de sa grâce.
Menées sur un ton désabusé, proche de l’absurde, mais toujours avec humour et dans la grande tradition des auteurs centre-européens tels Kafka, Hašek ou Kosztolányi, ces pérégrinations sont également l’occasion de s’interroger sur les pouvoirs de la littérature et les illusions de l’identité.
Né en 1941, éditeur et traducteur de littérature américaine, Pavel Vilikovský est probablement l’écrivain slovaque le plus connu aujourd’hui hors de son pays. Il est considéré comme un remarquable auteur de nouvelles et de romans courts, notamment en Pologne, en Hongrie ou en République Tchèque, où il est régulièrement traduit. Également traduite (mais plus ponctuellement) en français, en anglais et en allemand, son œuvre est marquée par la chute du mur de Berlin, les soubresauts politiques centre-européens de la fin du XXe siècle et le rôle de l’écrivain et de la littérature.
Quelques citations:
– Je tenais toujours son verre dans la main droite, elle prit donc ma main gauche et la fit glisser sous son pull. Elle ne portait pas de soutien-gorge; je ne sais pas si elle ne l’avait pas remis à la piscine ou bien si elle avait eu le temps de l’enlever avant que je ne frappe à sa porte, en tout cas cela me rappela que nous avions oublié de sortir les maillots de bain mouillés du sac.
– … combien de livres fameux dont nous ne pouvions que rêver, combien de livres nous ont fait attendre dès l’aube devant les librairies d’occasion, combien nous ont fait faire la queue devant les librairies le jour de livraison, et combien en a-t-il circulé sous le manteau, de main en main comme de la drogue interdite! Désormais nous sommes privés de ce désir, de cet espoir d’une gorgée inattendue à même la source. Aujourd’hui il y a plus de livres que de lecteurs, ils s’exposent sur les étals des librairies comme sur un buffet à volonté et la plupart se dessèchent car les visiteurs occasionnels ne choisissent que de légers amuse-gueules. Plus de musique – que du bruit de sons -, plus de livres – que du bruit de mots; rien d’autre que du bruit pour qu’on n’ait plus le temps de se rendre compte que la tête est vide. Sans idées. […] le plus grand ennemi de la vie est la satiété.
– Qu’est-ce que ce serait plus facile de vivre ensemble si nous faisions semblant, les uns devant les autres, d’être polis et courtois, de ne pas nous insulter vulgairement en public, de ne pas nous bousculer à mort en montant dans le bus, si le garçon de café ou la vendeuse feignaient de servir le client avec joie et l’employé au guichet d’avoir du plaisir à répondre à ses concitoyens! Il y en auraient peut-être qui s’habitueraient au masque de la bonne éducation et s’y sentiraient si bien qu’ils ne l’enlèveraient plus. Je crois que c’est justement cette crainte qui nous empêche d’essayer – qui aurait envie de prendre place parmi les naufragés de la vie ou, pour le dire en slovaque moderne, parmi les loosers?
Pas sûre d’y trouver mon compte ! Je passe mon tour.
Oui, il ne convient sans doute pas à tout le monde.