Auteur: Alessandro Baricco
Editeur: Tracts Gallimard – 4 mars 2021 (48 pages)
Lu en juillet 2021
Mon avis: Dans cet essai d’à peine 50 pages composé de « 33 fragments », Alessandro Baricco nous propose, au-delà du virus, de la maladie et de leurs conséquences purement sanitaires, d’envisager la pandémie de Covid-19 comme une créature mythique. Une créature qui serait « bien plus complexe qu’un simple événement sanitaire [mais] plutôt une construction collective dans laquelle différents savoirs et ignorances ont poussé dans la même direction« . En tant que mythe, la Pandémie est un phénomène produit artificiellement par les humains, par lequel ils tentent d’organiser le chaos de leurs peurs et de leurs convictions et de s’assurer un destin. Et considérer la Pandémie comme un produit mythique « signifie savoir avec certitude qu’une quantité énorme de décisions très réelles l’ont d’abord rendue possible, puis presque invoquée, enfin générée définitivement, en l’unissant à une infinité de petits et grands comportements pratiques« .
Selon Baricco, depuis une cinquantaine d’années, les humains mettent en place les conditions d’émergence d’une Pandémie : révolution numérique, globalisation, mobilité toujours plus rapide des individus, des marchandises, de l’argent, de l’information, une diffusion de plus en plus effrénée, de plus en plus… virale. Alors précisément, quand un virus apparaît, le chemin de sa figure mythique, la Pandémie, est déjà tout tracé, et amplifié, puisque pour la première fois, ce voyage se fait à vitesse numérique.
Mais quand les humains produisent un mythe, c’est parce qu’ils cherchent à s’annoncer à eux-mêmes « quelque chose d’urgent et de vital« . Alors pourquoi cette Pandémie ? Besoin d’exprimer quoi ? Quel désir, quelle souffrance insupportable ? La souffrance est celle de la folie du monde d’avant, celui qui va vite, trop vite, speedé, hyper connecté, ultra-consumériste, gouverné par la sacro-sainte croissance du PIB. Le besoin : celui de s’arrêter. La Pandémie serait donc l’expression d’une fatigue et d’une rébellion.
Plus pessimiste, Baricco suggère aussi qu’elle répondrait à un besoin hygiéniste : « nous nous touchons trop, nous sommes trop exposés physiquement, nous mélangeons de façon horrible miasmes, liquides et particules, nous sommes sales« , et nous avons alors « un immense besoin collectif de propreté, peut-être d’expiation« . « Une effrayante vague de puritanisme« . Encore plus cruel, le message, appuyé sur le fait que les victimes de la Pandémie ont d’abord été les plus vieux et les plus fragiles, pourrait être que « dans le solde collectif d’une communauté entière, mourir moins et mourir mieux ne signifie pas vivre plus ni vivre mieux« .
Ce que nous cherchons, ou plutôt ce que nous avons cherché (qui correspond mieux au titre original), nous l’avons donc « bien cherché », mais Baricco n’est pas négatif sur toute la ligne. Même si l’une des forces à l’œuvre dans la Pandémie est celle du retour du Pouvoir, qui jusque là perdait de plus en plus de terrain et s’érige désormais en Sauveur, une autre force opposée est à la lutte : celle qui nous rend « la capacité de penser l’impensable« , à savoir la capacité et l’espoir de construire un monde nouveau au seul endroit possible : les ruines du vieux monde. Avec une violence et une soudaineté certes inouïes, la Pandémie dresse « la synthèse mythique de notre possible destin, pour nous forcer à le regarder, à le craindre, à le dire et peut-être à l’arrêter« .
« Ce que nous cherchons » est un essai aussi court que riche et intéressant, captivant, qui sonne très juste. Il propose une grille de lecture insolite mais convaincante de cette situation que nous n’avons pas fini de connaître, une sorte de psychanalyse de l’inconscient collectif mondialisé. De quoi prendre un peu de hauteur et respirer calmement, loin des vaccins, variants et autres pass sanitaires…
Présentation par l’éditeur:
Il faudrait réussir à envisager la Pandémie en tant que créature mythique. Beaucoup plus complexe qu’une simple urgence sanitaire, celle-ci semble plutôt une construction collective dans laquelle différents savoirs et de nombreuses ignorances ont contribué au partage manifeste d’un même objectif, analyse Alessandro Barrico dans ces trente-trois fragments écrits près d’un an après l’apparition de la Covid-19. Cette figure a gagné et occupé pleinement les esprits à la faveur de l’avènement de la civilisation numérique, plus rapidement que le virus n’a infecté les corps. C’est un phénomène artificiel, certes: un produit de l’homme. Mais confondre artificiel et irréel serait une erreur stupide, car le mythe est peut-être la créature la plus réelle qui soit. Cet évènement que nous vivons. Ce que nous cherchons.