jeudi , 21 novembre 2024

La Femme d’En Haut

Auteure: Claire Messud

Editeur: Galimard – 2014 (384 pages) ou Folio – 2016 (416 pages)

Lu en juillet 2022

Mon avis: Nora Eldridge est une institutrice dévouée et compétente, qui travaille dans une école primaire de Boston. Jeune quarantenaire, elle est célibataire et sans enfants. Sa mère est morte deux ans plus tôt, et elle n’a plus qu’un frère à l’autre bout des USA, son père vieillissant et sa vieille tante Baby : « jamais mariée, elle était catholique pratiquante et ce que je redoutais le plus de devenir : vaillante, indépendante et totalement sans raison d’être ». Car en dehors d’une amie et quelques copines, et de son travail, la vie de Nora est vide. Ou en tout cas, elle la ressent comme telle : un vide abyssal et dépourvu de sens qu’elle ne sait comment combler. Elle se voit comme une « femme d’en haut », la voisine sympa et souriante mais dont vous ignorez absolument tout, parce qu’elle évite de prendre de la (sa) place et de se dévoiler : « ...la douce et accommodante, la calme et responsable Miss Eldridge, amie modèle, fille modèle, enseignante modèle, Miss Eldrigde la carpette, Miss Rien du Tout à qui tout le monde sourit si chaleureusement avant de l’oublier aussitôt ». Nora rêve, crève, de besoin et d’envie d’exister et d’être visible, mais elle a du mal à échapper à ses démons. L’espoir renaît soudain lorsqu’un nouvel élève arrive dans sa classe, et qu’elle fait connaissance avec ses parents. Avec Sirena, surtout, artiste plasticienne qui la fascine aussitôt. Il faut dire que Nora est une artiste frustrée, qui avait, il y a longtemps, imaginé pouvoir vivre de son art, avant de se rabattre sagement vers le métier d’institutrice. La famille composée par Sirena, son mari et leur fils est et a tout ce dont Nora a toujours rêvé : un couple, un enfant, un métier passionnant. A travers l’amitié puis la collaboration que lui offre Sirena, Nora croit à nouveau en son étoile, convaincue que tout est à nouveau possible, que cette relation et le regard de Sirena vont lui permettre d’enfin vivre vraiment et de s’épanouir en tant qu’artiste. L’espoir est donc là, reste à le concrétiser. Car au final, il faut bien le reconnaître, Nora se cantonne à vivre à travers Sirena et à se dévouer pour la prochaine exposition de celle-ci, plutôt que de suivre son propre chemin. Comme dans la chanson, « la vie par procuration ».

« La femme d’en haut » raconte un épisode de la vie d’une femme en colère, contre elle-même et le monde entier, et qui, arrivée à la moitié de son existence, est persuadée d’avoir gâché sa vie, et qui attend désespérément de vivre dans et par le regard et la reconnaissance des autres. A-t-elle raison de penser qu’on n’existe qu’à travers les autres ? Sans doute pas. Question complexe. Mais difficile de penser autrement quand on se considère totalement transparent. Et le plus important : savoir si on a encore assez d’énergie ou de colère en soi pour réagir et se révolter.

Sur les thèmes de la solitude, des espoirs fous et des frustrations et désillusions proportionnellement cruelles, du cynisme du monde de l’art, et surtout de la définition d’une vie réussie ou au minimum satisfaisante, « La femme d’en haut » est un roman cruel, interpellant et même bouleversant.

Présentation par l’éditeur:

Nora ressemble à votre voisine du dessus, celle qui vous sourit chaleureusement dans l’escalier mais dont vous ignorez tout, car elle ne laisse paraître aucun désir, de peur de vous contrarier. Lorsque la belle Sirena, accompagnée de son mari et de son fils, fait irruption dans son existence d’institutrice dévouée, elle réveille un flot de sentiments longtemps réprimés.
Au fil des mois, Nora réinvente sa vie et se réinvente elle-même, projetant sur chacun des membres de cette famille ses désirs inavoués: maternité, création artistique, sensualité. Mais échappe-t-on réellement au statut de femme de second plan?
Tout en s’attaquant aux vicissitudes des rapports familiaux et à la cruauté du monde de l’art, Claire Messud brise avec acidité le mythe de la femme sans histoires, pour la révéler grinçante et en colère, habitée d’espoirs fous et, inévitablement, de fracassantes désillusions.

Une citation:

– En tant qu’enseignante, je dois dire que les enfants uniques réussissent souvent mieux leur scolarité…
– Oui, parce que nous, parents, les choyons et leur consacrons tellement de temps. Les enfants uniques, vous savez, ils deviennent comme une troisième personne au sein d’un couple. Ils n’ont pas trop l’occasion d’être des enfants, plutôt de petits adultes.

Evaluation :

Voir aussi

A l’ouest rien de nouveau

Auteur: Erich Maria Remarque Editeur: Le Livre de Poche – 1973 (224 pages) Lu en …