Auteur: Józef Mackiewicz
Editeur: Editions Noir sur Blanc – 6 février 2020 (642 pages)
Lu en février 2020
Mon avis: L’affaire du colonel Miassoïedov, c’est une sorte d’affaire Dreyfus à la russe, mais sans aucun Emile Zola pour accuser les autorités d’intenter un procès ignominieux à un innocent.
Au début du 20ème siècle, le colonel Miassoïedov est un gradé de la gendarmerie tsariste, affecté aux services de renseignements. Il est également administrateur d’une société privée de transport maritime fondée par des Juifs. Et il se murmure que son épouse, Klara Holstein, serait d’origine juive. Dans un contexte d’antisémitisme galopant, il n’en faudra pas davantage pour faire de lui un bouc émissaire idéal. En effet, lorsque la Grande Guerre éclate, l’armée russe, sous le haut commandement du grand-duc Nicolas, oncle du tsar Nicolas II, essuie de très lourdes défaites sur le front de la Pologne orientale. Plutôt que d’assumer la stratégie calamiteuse de l’armée impériale, on préfère calmer l’opinion publique en la manipulant sans vergogne et en mettant la honteuse déroute sur le dos d’un espion qui aurait transmis à l’ennemi d’importantes informations sur les positions des troupes russes. Et tant qu’à faire, autant désigner un espion en cheville avec les « milieux juifs ». Ni une ni deux, on constitue une Cour martiale sans accorder aucun droit à la défense, on expédie un procès aussi grossier que le dossier d’accusation est vide, et voilà Miassoïedov exécuté à Varsovie en 1915 en tant que « responsable direct de la défaite de la 10ème armée ». Que ne ferait-on pour contenter l’opinion publique et sauver la face de la famille impériale… « Par les temps qui courent […] le droit n’est plus la valeur suprême, l’intérêt public passe avant tout« .
L’histoire ne s’arrête pas là, parce que, tel un couple maudit, c’est au tour de Klara d’être inquiétée en tant que « complice » de son mari. D’abord condamnée à mort, elle aussi, elle est finalement déportée en Sibérie. A l’avènement du régime bolchevique, elle reprend espoir et tente de rentrer chez elle, imaginant que son ardoise serait effacée. Mais jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, ballottée d’un bout à l’autre de l’Europe centrale, son passé la poursuivra : même remariée, le nom de Miassoïedov lui posera bien des problèmes, sans parler de ses origines juives supposées.
A partir de faits réels, l’auteur retrace l’histoire de l’Europe orientale et de la Russie, des premiers pogroms en 1903 au bombardement de Dresde en 1945. Le sort du couple Miassoïedov est purement et simplement révoltant et méritait amplement d’être (enfin) mis en lumière (en français ; l’original date de 1962). Rien à dire sur le fond, donc, mais je suis plus mitigée sur la forme et le style. La première partie de ce pavé de 630 pages, consacrée au colonel, est assez rébarbative : digression, sauts dans la chronologie, description des mouvements de troupes avec une litanie de grades, de noms de personnes et d’endroits,…, j’avoue que je m’y suis perdue et barbée. L’éditeur et/ou le traducteur auraient d’ailleurs pu se fendre de quelques explications sur des mots tels que verste, sotnia, voïvode,…, et d’une carte de la région, tant qu’à faire. Par ailleurs, le comportement de Miassoïedov est énigmatique : rien sur sa psychologie, rien qui permette de comprendre le pourquoi et le comment de ses agissements à l’armée et sur le plan sentimental ; on comprend tout juste que s’il s’associe dans une entreprise privée, c’est par appât du gain. La seconde partie, consacrée à l’affaire de Klara, est quant à elle un peu plus incarnée, et on arrive à entrer en empathie avec son personnage, mais là aussi cela manque de profondeur et de mise en contexte, surtout quand, comme moi, on a une connaissance limitée de cette région à cette période de l’Histoire.
Il n’en reste pas moins que ce roman-document fait œuvre utile et rappelle la violence et la souffrance effroyables subies par les populations civiles (et les soldats) pendant cette première moitié bien noire du 20ème siècle.
En partenariat avec les Editions Noir sur Blanc via Netgalley.
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Présentation par l’éditeur:
Dans un vieux numéro du Times, l’auteur retrouve un écho d’une affaire qui avait fait grand bruit dans son enfance ; c’était quelque chose comme une affaire Dreyfus russe, mais il n’y avait eu aucun Émile Zola, alors, pour prendre la défense de l’homme qu’on accusait. Voici un roman dans lequel personnages et événements sont authentiques, presque documentaires, et qui est en même temps une grande réussite littéraire. Au début de la Grande Guerre, Sergueï Miassoïedov, colonel de la gendarmerie tsariste et petit entrepreneur privé, se trouve accusé d’espionnage pour le compte de l’Allemagne : en coulisse, la police politique est en proie à des luttes intestines entre les antisémites et leurs adversaires. Condamné à mort par une cour martiale, Miassoïedov est exécuté à Varsovie en 1915. Et c’est alors que commence une seconde affaire, moins retentissante et peut-être plus cruelle encore : son épouse, d’origine juive, est inquiétée à son tour, d’abord par la police tsariste, qui obtiendra sa condamnation, puis par les services soviétiques. Des pogroms de 1903 jusqu’au bombardement de Dresde par les Alliés, c’est toute la noirceur et la violence du demi-siècle qui se montre à nos yeux.
Quelques citations:
– Quand il forgea sa vérité de masse, collective, qui allait se substituer à la vérité vraie, Lénine savait qui était son plus grand ennemi. De là, sa haine de Dieu et de la « bourgeoisie ». Car l’amour de l’Homme envers Dieu, l’amour d’une femme envers un homme, l’amour de ses propres enfants et même simplement l’amour de son propre foyer deviennent contre-révolutionnaires par le simple fait qu’ils sont personnels. Il voulait leur substituer l’amour de l’usine. Mais comment opérer un tel miracle puisque n’importe quel ouvrier sera toujours et partout plus ému et plus triste de la mort de sa femme, de la maladie de son enfant, que de l’incendie de son usine? Même s’il est terrorisé à l’idée de l’avouer et qu’il cache cela dans le secret de son âme. Il faut donc lui arracher cette tristesse du cœur et de la gorge! Il faut la remplacer par la joie de construire son usine! Lui arracher sa pensée et la piétiner du talon dans la neige, dans la boue, devant l’auditoire d’un meeting de masse! Ecraser sa maudite pensée contre-révolutionnaire. Car la révolution ne gagnera pas uniquement en arborant des drapeaux rouges, elle gagnera lorsque l’individu sera contraint à exprimer les pensées qu’il dissimule normalement même aux personnes les plus proches de lui. Mais cela ne réussira jamais. La violence et les slogans bien choisis peuvent réussir. On peut contraindre l’individu à partager ses biens. On ne peut pas le contraindre à se partager lui-même.
C’est ainsi qu’avec la victoire de la révolution bolchevique, apparut le plus grand écart qu’on ait jamais vu dans l’histoire de l’humanité entre la pensée et la parole, entre la parole et les aspirations.
– L’affaire Miassoïedov est, à certains égards, une affaire Dreyfus à l’envers… Tenez, je vais user d’un paradoxe: elle montre le défaut d’un système, mais d’un système… démocratique. Quelqu’un qui est condamné par le pouvoir peut être défendu par l’opinion publique. Quelqu’un qui est condamné par l’opinion publique peut être défendu par le pouvoir. Mais quand l’opinion publique est elle-même le pouvoir, à qui voulez-vous vous adresser pour le défendre? Il n’existe aucun pouvoir, aucune force vers qui se tourner. Car il n’y a personne sur terre qui aurait intérêt à répondre à un tel appel. […] Vous me demandiez comment le grand-duc a osé se livrer à un tel arbitraire. Je suis convaincu qu’il y aurait réfléchi à deux fois et qu’il n’aurait sans doute pas pris cette décision s’il avait en ce moment l’opinion publique contre lui. Mais il savait que l’opinion était de son côté. Mieux, il l’a fait pour lui complaire. Peut-être même n’a-t-il fait qu’exécuter sa volonté. Le peuple veut avoir des espions sur qui rejeter la responsabilité des revers essuyés sur le front. En voici un tout trouvé: Miassoïedov. Et tout le monde est content. Comme il a collaboré avec des Juifs, la droite est contente. Comme il a revêtu l’uniforme des gendarmes, la gauche est contente.