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Le mort était trop grand

Auteur: Luis Miguel Rivas

Editeur: Grasset – 17 avril 2019 (432 pages)

Lu en avril 2019

Mon avis: « Wouah mec, quelle allure j’aurais si je pouvais me payer des fringues de luxe, des vraies, pas des copies madeinchina, un vrai blouson disel, un jean chevinion, un polo lacost, un ceinturon doltchegabana, et puis surtout des chouses en peau de serpent, vertes, comme celles de ce type, là, au bar, les mêmes que celles de Chepe qui s’est fait buter l’autre jour… Mais attends, vise un peu ces chaussures, elles sont pas comme celles de Chepe, ce sont carrément les siennes, y en a pas deux des comme ça…mais ça peut pas être les pieds du Chepe vu qu’il est mort et enterré… attends, mec, où tu les as eues tes verzatche ? » Telle est en substance la question existentielle que Manuel pose à Yovani, dont il fait la connaissance par hasard dans un bar de Villeradieuse, Colombie. Et la réponse de Yovani d’arriver laborieusement, mais tout aussi vitale (ou mortelle, c’est selon) que la question : « Bah je les ai achetées à un gars qui fait du bizness avec un mec de la morgue, vu le nombre de cadavres ici, y en a plein, des fringues griffées (lire : trouées par balle, déchirées au couteau, tâchées de sang ou de cervelle) à prix cassé… » C’est ainsi que Manuel, jeune gars sans le sou d’un quartier déshérité, met le doigt dans l’engrenage. Persuadé que, sapé comme un prince, lui et sa confiance grandiront d’au moins deux mètres de haut et de large, il s’endette pour acheter la tenue d’un mort tout frais et juste de sa taille. Sauf que les tueurs du mort en question, deux sous-fifres bossant pour le compte de Don Efrem, apercevant Manuel de loin avec ses nouvelles fringues sur le dos, croient avoir affaire à un revenant ou à un ressuscité, et ça, ça ne plaira pas du tout au patron. S’en suit une chasse à l’homme, ou plutôt au fantôme, tout cela sur fond de lutte à mort entre les deux narcotrafiquants qui se disputent le contrôle de la ville, Don Efrem et Moncada, autrefois associés, désormais rivaux impitoyables. Pendant que les bombes explosent généreusement et que les armes s’en donnent à cœur joie, Manuel, qui n’a pas compris qu’il était pourchassé, essaie de rembourser ses dettes à coup de petits boulots, et rêve d’argent facile et de jolies filles. L’argent facile, c’est possible, à condition d’accepter l’illégalité et le risque (non négligeable) de mourir sur son « lieu de travail ». Et pour les filles, il y a Lorena, adorable, intelligente, inaccessible, même pour Don Efrem, qui a jeté son dévolu sur elle. D’ailleurs les scènes où le truand au cœur de pierre tente de séduire la belle à coup de cadeaux luxueux et de poèmes tout en prenant des cours accélérés de « culture » sont hilarantes. Ay ay ay Lorenita, talon d’Achille de Don Efrem…
Dans un déchaînement inouï de violence où pleuvent les cadavres déchiquetés et les pelletées de dollars, mais qui n’empêche pas la musique et l’alcool de se déverser au fil des pages, ce roman brosse le portrait d’une période noire de la Colombie et de ses cartels tout-puissants, et surtout des gens ordinaires avec des rêves ordinaires qui tentent de vivre dans ce chaos. La plume de l’auteur est corrosive et son talent de conteur ne fait aucun doute. C’est terrible à dire : ce bouquin déjanté et à l’ironie décapante raconte des choses tragiques, mais qu’est-ce que c’est drôle…

En partenariat avec les Editions Grasset via Netgalley.

Présentation par l’éditeur:

À Villeradieuse, c’est le tout puissant don Efrem qui dicte les règles. Lorsqu’on travaille pour le Patron, l’argent coule à flots et la vie semble facile. Sauf quand on vous retrouve criblé de balles bien sûr, et qu’un ami aperçoit vos chaussures dépasser du fourgon prêt à partir pour la morgue. Celles de Chepe étaient vertes – Manuel ne peut pas les oublier – et identiques à celles que porte le jeune homme accoudé au bar à côté de lui. Incapable de penser à autre chose que ces mocassins, Manuel aborde alors leur propriétaire, et ce dernier, après quelques verres, lui avoue qu’il a une excellente adresse pour se fournir en vêtements de marque : la morgue. Les mocassins verts sont bien ceux de Chepe, et Manuel se trouve embarqué dans la combine.
Seul problème lorsqu’on achète ses habits dans les chambres froides : le mort est parfois trop grand, et ses assassins trop idiots. Manuel a emprunté les habits du mauvais cadavre et se retrouve ainsi poursuivi par deux hommes de main de don Efrem, persuadés d’avoir aperçu le fantôme de l’homme qu’ils venaient d’abattre. Ou peut-être a-t-il survécu ? Le Patron ne peut se permettre ce genre d’approximations, le problème doit être réglé au plus vite, d’autant que lui-même a d’autres préoccupations bien plus importantes en ce moment : séduire l’inaccessible Lorena. Elle est cultivée, délicate, il va devoir mettre toutes les chances de son côté. En prenant des cours de culture générale par exemple. À Villeradieuse, on est prêt à tout pour plaire – découvrir les règles du savoir-vivre et même dépouiller les morts.
Fresque drolatique et effrénée, Le mort était trop grand aborde le sujet de l’extrême violence des narcotrafiquants colombiens à travers le prisme de la comédie. Luis Miguel Rivas, avec son incontestable talent de conteur, se révèle ici maître de l’humour noir.

Evaluation :

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2 commentaires

  1. Tu m’as fait rire avec le début de ta chronique avec tous les slogans commerciaux qui rendent beaux, ou le devraient. Mais après ça se gâte avec la violence qui se pointe. M’enfin, ci c’est pour rire, yapluka :0))

    • Merci 🙂 J’ai essayé d’imiter un peu le style de l’auteur pour rendre compte du ton du roman: la futilité au milieu d’une violence inouïe et qui semble pourtant presque ordinaire aux protagonistes.