jeudi , 25 juillet 2024

L’amygdalite de Tarzan

Auteur: Alfredo Bryce-Echenique

Editeur: Métailié – 2015 (251 pages)

Lu en août 2015

l'amygdaliteMon avis: Quelle gaieté, mes amis, quelle gaieté, d’avoir le plaisir d’écrire la première chronique de ce roman sur Babelio ! Laissez-moi vous parler des amours impossibles et contrariées de Fernanda María de la Trinidad del Monte Montes, distinguée jeune fille salvadorienne élevée dans les pensionnats les plus chics de San Francisco et Lausanne (où on vous apprend toutes sortes de choses utiles comme pouvoir héler un taxi n’importe où mais toujours avec élégance), fraîchement débarquée à Paris en cet an de grâce (et de gaieté !) 1968, et de Juan Manuel Carpio, jeune homme un peu moins frais, un peu moins distingué et un peu plus fauché, « Liménien de la deuxième génération, thorax andin et tirant aussi sur l’indien pour le reste », auteur-compositeur-interprète de chansons d’amour-toujours, arpentant les trottoirs de Paris avec sa guitare en cet an de grâce 1968 (je vous l’avais bien dit : quelle gaieté !).
De l’amour, ça oui, du vrai, du pur, loyal et fidèle, qui résiste à trente années de vie même pas commune, ça non, elle n’a rien de banal, cette vie, d’ailleurs, elle serait plutôt à ranger dans la catégorie des meilleurs « rendez-vous manqués en cascade », mais heureusement Fernanda María, ou Fernanda Mía (« mienne ») ou Fernanda Tuya (« tienne ») et Juan Manuel ont toujours été « meilleurs par correspondance ». Car malgré des conjoints et quelques « significant others » (pourtant pas si encombrants), et toute une panoplie de coups d’Etat latino-américains qui ont éloigné Fernanda en la menant de Paris au Chili en passant par Lima et re-Paris, puis au Salvador et en Californie avec allers-retours 10 plus un gratuit, et parfois Londres et même Majorque, ce qui a surtout fait foirer leur histoire, à ces deux exilés, merde, Fernanda Mía, c’est que nous avons toujours été champions olympiques de la discipline « ne pas se trouver au bon endroit au bon moment ». Et si tu savais, Juan Manuel Carpio, comme je regrette de ne pas t’avoir vu, arrêté à ce feu rouge, merde, car sinon à ce moment-là tu aurais pu me séduire pour toujours, moi ta Fernanda Tuya, et nous n’aurions plus jamais été tristes le matin. Mais quelle gaieté, Juan Manuel, de recevoir tes lettres, même si le facteur doit marcher pendant trois jours avant de me trouver dans le chaos de mon petit pays dévasté, où tout le monde se fait kidnapper ou tuer, et où « le temps n’est pas à la broderie ». Et j’espère, Fernanda Mía, ma Tarzane, que tu ne m’en voudras pas de raconter notre histoire, nos histoires, notre amour, nos amours, notre bonheur et nos malheurs, en citant tes lettres et en les commentant pour ces pauvres lecteurs qui n’en croiront pas un mot ni leurs yeux, mais quelle importance, nous, nous savons, très chère Mía, que tout ça est vrai malgré les si nombreux ratés de nos « Estimated Times of Arrival ».
Ah mes amis, quelle gaieté que ce roman, quelle gaieté ! Pardonnez-moi de m’être emballée de la sorte, et puis non, ne me pardonnez pas, après tout je n’ai pas à m’excuser, mais quel amour, quelles amours je viens de lire ! Comme dans le très beau « Un monde pour Julius », on retrouve un mélange d’humour et de drame, de légèreté et de tourments intimes ou publics, de tendresse, de fantaisie et de fatalité, porté par une écriture si sud-américaine que décidément j’adore, avec son grain de folie, sa nostalgie et son style exubérant.
Quel auteur, mes amis, quel auteur !

Présentation par l’éditeur:

« Je me sens aussi forte que Tarzan au bord d’un fleuve puissant où même les crocodiles le respectent… » déclare la délicieuse Fernanda Maria, qui se sert des sentiments comme Tarzan des lianes pour traverser intacte les turbulences latino-américaines des trente dernières années, dont les survivants ne peuvent qu’être des athlètes de la vie. Lui, il vit en Europe, il l’aime, reçoit ses lettres et rêve de revenir au jour où il n’a pas su la séduire pour toujours. Alfredo Bryce-Echenique écrit ici une histoire d’amour à rebondissements, pleine d’humour et de tendresse. Il nous entraîne dans une aventure littéraire qui marque un tournant dans son oeuvre.

Quelques citations:

– « Je m’obstine: si tu restes ferme encore un moment, tu sortiras du tourbillon. C’est quelqu’un qui est sorti d’un tourbillon différent, mais enfin d’un tourbillon, qui te le dit. Je ne suis certainement pas un modèle, mais je ne me sens pas pire que mon prochain. D’ailleurs, tout comme toi, au fond je suis un timide qui se bat, bien que dans mon cas l’affaire s’aggrave parce que depuis quelque temps j’ai remarqué que, un peu prématurément peut-être, je commence à me faire des poils blancs sur les testicules ».

– « Je n’ai couché avec personne. J’ai pratiqué l’amour libre et basta ».

– « J’étais tombé amoureux d’elle, de sa peau de pêche bronzée toute l’année, de sa silhouette à vous réveiller un mort, de sa longue et rousse chevelure, de ses sourcils et de ses yeux très noirs à Lima, un soir que je chantais dans une fête à l’université catholique où elle était « Miss Faculté », ou quelque chose comme ça, et moi une sorte de Nat King Cole en espagnol, et à force de viens plus près de moi, plus près, plus près encore, je finis par tant la rapprocher de moi que je n’ai pas encore réussi à l’écarter complètement, bien que plus de mille ans, bien plus encore aient passé depuis ce temps-là, ce qui fait que je crois pouvoir répondre à l’auteur de ce boléro que oui, il semble bien que l’amour existe dans l’éternité ».

– « Bob! Qui diable était Bob! Ce Bob! D’où sort un homme, un Bob, avec lequel on est simplement « bien ». […] Avec un homme on est heureuse, ou rien. Et cet homme, heureux avec cette femme, ou rien. »

– « […] Mía et moi finîmes par travailler nuit et jour à notre premier projet. Et bien sûr, un jour nous riions comme des fous, et le lendemain nous étions fâchés à mort, pour un oui ou pour un non, ou parce qu’elle essayait d’interrompre, au moins quelques heures, notre séance de travail, je l’accusais de manquer de sérieux, et alors elle me traitait d’esclavagiste, ce à quoi je répondais que moi, ce que je savais faire, c’était gagner ma vie à la sueur de mon front, alors que toi, oligarque de merde, même quand tu es à demi morte de faim tu continues à être née pour être une millionnaire et une grande propriétaire pourrie […]. »

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5 commentaires

  1. Je suis justement en cours de lecture de ces lettres entre Tarzan et Jane, ou Fernanda Tuya ou Mia ou Fernanda Maria de la Trinidad del Monte Montes avec une plume de l’auteur très truculente au milieu des exils forcés des uns et des autres, des révolutions et autres dictatures sud-américaines.

    • Moi il me reste environ 50 pages à lire, et l’auteur a une plume magnifique. Mais jusqu’ici le roman m’emballe moins que « un monde pour Julius »

  2. Roman épistolaire à consommer sans modération !

  3. Et quelle gaieté dans la critique ! Bravo !