mardi , 19 mars 2024

La vie très privée de Mr Sim

Auteur: Jonathan Coe

Editeur: Folio – 2012 (480 pages)

Lu en juin 2015

la vie très privéeMon avis: Au début du roman, et au milieu de sa vie – il a 48 ans, Maxwell Sim, le narrateur, s’interroge sur les relations humaines, et sur le rôle du hasard dans les rencontres. Sur les routes, tous les jours, des milliers de voitures circulent, évitant la plupart du temps les collisions, et c’est heureux. Mais qu’en est-il des humains ? Faut-il se réjouir ou se désespérer de toutes ces rencontres qui n’ont pas lieu, de ces frôlements uniques qui ne créent qu’un déplacement d’air en guise de contact ? Il ne le sait pas encore, mais l’existence de Mr Sim tient pourtant à un de ces malentendus, collision fortuite qui se produit en lieu et place de celle qu’on avait si bien planifiée. Destin ou coïncidence ?
Voilà un beau sujet de réflexion, que l’auteur place au coeur de la vie de son « héros ». Qu’a-t-elle donc de si terrible (cf le titre anglais The terrible privacy of Maxwell Sim), la vie très privée de Mr Sim ? Doit-on s’attendre à l’histoire croustillante ou amorale d’une vie dépravée et scandaleuse ? Après quelques pages, on comprend qu’il n’en sera rien, Mr Sim étant le prototype du looser lambda, qui a perdu sa femme et sa fille après un divorce, son boulot, et le moral. Et on se demande alors si le titre français du roman ne cache pas un second sens : une vie très privée…de beaucoup de choses, la joie, l’amour, l’amitié, la famille, la reconnaissance, l'(auto-)estime,… Mr Sim, dépassé par un monde qui avance trop vite pour lui, se raccroche à quelques illusions, tente une relation avec une jeune femme séduisante rencontrée dans un avion, se crée un pseudo pour pouvoir discuter anonymement avec son ex-femme sur les forums internet que celle-ci fréquente, et, last but not least, tombe amoureux de la voix de son GPS. Parce que dans cette vie guère trépidante, il y a quand même un sursaut : Mr Sim a retrouvé un job de représentant en brosses à dents écologiques, et se voit embarqué dans un défi marketing foireux consistant à rallier l’extrême nord du Royaume-Uni en voiture, en un minimum de temps et en décrochant le maximum de contrats.
De stations-services en aires d’autoroutes, entre panini, cafés-machine et infos trafic, Mr Sim tente à la fois de renouer avec le passé (son père, d’anciens amis, sa fille,…) et d’aller de l’avant (nouveau boulot, nouveaux contacts,…). Mais en cours de route, accablé de solitude, il en vient à discuter passionnément avec Emma, sa Guide Par Satellite, jusqu’au moment où l’insignifiance de son existence lui saute aux yeux.
Roman plus riche et plus complexe qu’il n’y paraît, légèrement désespéré (mais pas désespérément léger), doté d’un humour pince-sans-rire so british, Jonathan Coe nous livre un portrait peu reluisant de la Grande-Bretagne des années 2000, dominées par le virtuel et le consumérisme, dont Mr Sim, comme tant d’autres, est une victime attachante. Doublement victime, d’ailleurs, puisque le coup de théâtre final (pied-de-nez de l’auteur au lecteur, ou cruauté impitoyable de l’auteur envers son narrateur) remet une nouvelle fois en question l’intimité, l’identité, l’existence de Mr Sim, en nous rappelant malicieusement le pouvoir d’illusionniste de l’écrivain.

Présentation par l’éditeur:

Maxwell Sim est un loser de quarante-huit ans. Voué à l’échec dès sa naissance (qui ne fut pas désirée), poursuivi par l’échec à l’âge adulte (sa femme le quitte, sa fille rit doucement de lui), il s’accepte tel qu’il est et trouve même certaine satisfaction à son état.

Mais voilà qu’une proposition inattendue lui fait traverser l’Angleterre au volant d’une Toyota hybride, nantie d’un GPS à la voix bouleversante dont, à force de solitude, il va tomber amoureux. Son équipée de commis-voyageur, représentant en brosses à dents dernier cri, le ramène parmi les paysages et les visages de son enfance, notamment auprès de son père sur lequel il fait d’étranges découvertes : le roman est aussi un jeu de piste relancé par la réapparition de lettres, journaux, manuscrits qui introduisent autant d’éléments nouveaux à verser au dossier du passé. Et toujours Max pense à la femme chinoise et à sa fille, aperçues dans un restaurant en Australie, dont l’entente et le bonheur d’être ensemble l’ont tant fasciné. Va-t-il les retrouver? Et pour quelle nouvelle aventure?

Brouillant joyeusement les cartes de la vérité et de l’imposture, Coe l’illusionniste se réserve le dernier mot de l’histoire, qui ne manquera pas de nous surprendre.

Plus d’une génération va se reconnaître dans ce roman qui nous enchante avec un humour tout britannique, bien préférable au désespoir.

Une citation:

– « On va, on vient dans le grouillement du quotidien, on passe à deux doigts les uns des autres, mais le vrai contact est très rare. Tous ces ratages de peu, tous ces possibles irréalisés, c’est effrayant, quand on y pense« .

Evaluation :

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