Auteure: Claire Keegan
Editeur: Sabine Wespieser – 2011 (108 pages)/ Editions 10/18 – 2012 (96 pages)
Lu en novembre 2023
Mon avis: En Irlande, au début des années 80, un père conduit sa fillette chez les Kinsella, un couple de fermiers. La fillette va y passer l’été, histoire d’alléger un peu le budget familial étriqué, et la quantité de tâches ménagères de sa mère, qui est par ailleurs sur le point d’accoucher d’un énième enfant.
Peu à peu, au gré des tâches quotidiennes de la ferme et des soirées qu’elle passe à observer les adultes discuter et jouer aux cartes, la petite découvre une autre façon de vivre dans ce foyer où elle est la seule enfant. Une vie plus sereine, où elle mange à sa faim. Une vie où elle apprend ce que sont la bienveillance, l’attention et l’affection, ces denrées de première nécessité qu’elle n’a jamais reçues en quantités suffisantes. Les journées coulent, paisibles, même si, à quelques détails intrigants, elle sent confusément que les Kinsella cachent une blessure mal cicatrisée.
J’ai eu envie de lire ce court roman après avoir vu le film qui en a été tiré (« The quiet girl ») et qui m’avait beaucoup émue. Le film est très fidèle à la lettre et à l’esprit du livre, écrit tout en pudeur et tendresse, où les mots se contentent de donner à voir et de suggérer, et laissent au lecteur le soin de déduire, interpréter, comprendre. Claire Keegan raconte une histoire qui vous fend le coeur, dans cette Irlande rurale taiseuse, où les sentiments passent rarement par la parole. C’est sobre, délicat, intelligent, poignant de sensibilité, c’est beau.
Présentation par l’éditeur:
Par une radieuse journée d’été, un père emmène sa fillette dans une ferme du Wexford, au fond de l’Irlande rurale. Le séjour chez les Kinsella semble devoir durer. La mère est à nouveau enceinte, et elle a fort à faire. Son mari semble plutôt désinvolte : il oublie le bagage de la gamine dans le coffre de la voiture en partant.
Au fil des jours, la jeune narratrice apprivoise cet endroit singulier. Livrée à elle-même au milieu d’adultes qui ne la traitent pas comme une enfant, elle apprend à connaître, au gré des veillées, des parties de cartes et des travaux quotidiens, ce couple de fermiers taciturnes qui l’entourent de leur bienveillance. Pour elle qui était habituée à une nombreuse fratrie, la vie prend une autre dimension. Elle savoure la beauté de la nature environnante, et s’épanouit dans l’affection de cette nouvelle famille si paisible. En apparence du moins. Certains détails l’intriguent : la manière dont Mrs Kinsella lui propose d’aller puiser de l’eau, les habits de garçon dont elle se voit affublée, la réaction de Mr Kinsella quand il les découvre sur elle…
Claire Keegan excelle à éveiller l’attention de son lecteur sur ces petites dissonances où transparaissent l’ambiguïté et le désarroi de ses personnages, si maîtres d’eux-mêmes. Et, dans cet envoûtant récit, le regard d’une enfant basculant à son insu dans le monde mystérieux des adultes donne toute sa force dramatique à la part cachée de leurs existences.
Quelques citations:
– Tu n’es pas toujours obligée de dire quelque chose, reprend-il. Pense que la parole n’est une nécessité en aucune circonstance. Nombre de gens ont beaucoup perdu pour la seule raison qu’ils ont manqué une belle occasion de se taire.
– Ah, les femmes ont presque toujours raison quand même, dit-il. Sais-tu pour quoi les femmes ont un don?
– Quoi?
– Les éventualités. Une vraie femme regarde loin dans l’avenir et devine ce qui arrive avant qu’un homme flaire quoi que ce soit.