Auteur: Alicia Plante
Editeur: Métailié Noir – 12 mai 2016 (233 pages)
Lu en avril 2016
Mon avis: Le Tigre est une petite ville d’Argentine, à l’extrémité du delta du fleuve Parana, au nord de Buenos Aires. Au Tigre, on ne circule pas en voiture dans les rues, mais en bateau dans un dédale de canaux, les maisons sont construites sur de petits îlots, ou carrément sur pilotis. Un coin de paradis pour les habitants de la capitale, qui, pour certains, y établissent même leur résidence secondaire. On s’y croirait à l’abri de tout, y compris des remugles nauséabonds des années de plomb de la dictature, et pourtant…
Et pourtant survient la mort violente d’un couple, que la police, n’ayant guère envie de (se) poser trop de questions, s’empresse de classer en suicide. Intriguée par trop d’évidence et de contradictions, Julia, la cinquantaine, résidente occasionnelle du Tigre, cherche à tirer au clair cette affaire moins limpide qu’il n’y paraît. Cette professeur d’université, militante des droits de l’homme, aidée de son compagnon et de leur ami Leo Resnik, juge intègre pour qui vérité prime sur carriérisme, va ainsi mettre au jour, grâce à quelques indices négligés par la police, des crimes enracinés dans une boue noire et fétide : le meurtre maquillé en suicide camoufle lui-même un cas de « bébé volé » par la dictature, trente ans plus tôt.
Ce polar, qui nage dans les eaux troublées de l’histoire récente de l’Argentine, analyse très finement la psychologie des protagonistes de cette affaire, et nous fait ressentir intensément la peur qui les assaille. Celle du maître-chanteur quand soudain sa victime ne paie plus, celle de la victime tenaillée par l’idée que son secret soit révélé, celle d’un enfant devant son père violent, d’un survivant des prisons de la junte quand le passé ressurgit, celles des innocents devant l’arbitraire du terrorisme d’Etat, ici incarné par le glaçant Cecchi, prototype du sociopathe dévoué à la cause du régime.
Structurant son roman en alternant les points de vue et les époques, l’auteur éparpille devant nous les pièces du puzzle, nous laissant les emboîter peu à peu. La vue d’ensemble révèle alors une réalité terrible et honteuse, que les anciens disciples de la junte, toujours convaincus du bien-fondé de leurs convictions, ont de plus en plus de mal à étouffer, malgré un sentiment (une situation?) d’impunité qui n’est pas près de disparaître.
Un très bon roman, habilement construit, sombre et inquiétant, qui nous rappelle que l’Argentine n’a pas encore terminé de chasser ses fantômes, ni de se réconcilier avec elle-même.
En partenariat avec les éditions Métailié.
Présentation par l’éditeur:
Un couple est retrouvé mort dans une maison du Tigre, perdue au milieu des mille et un canaux du delta du Paraná, dans ce petit coin de paradis si prisé des habitants de Buenos Aires. Suicide, dit l’enquête, sur la foi d’un mot d’adieu écrit sur une vieille Underwood. Pas si sûr…
Julia, habitante du delta à ses heures, se lance dans l’enquête avec l’aide de Leo Resnik, juge intègre à vocation de redresseur de torts. Ils ne tardent pas à découvrir qu’un crime peut en cacher un autre, plus vaste, plus profond, qui regarde l’Argentine tout entière : les enfants volés de la dictature.
Il n’y a pas grand monde à sauver dans ce polar aussi boueux que les profondeurs du Tigre. Les crimes du passé, pourtant soigneusement dissimulés, remontent à la surface, et les séides de la dictature, s’ils n’ont plus le vent en poupe, n’ont jamais renoncé à leurs sombres convictions.
Dans un décor idyllique, Alicia Plante tisse une intrigue tendue et glaçante, avec un sens aigu du rythme et des personnages, où le passé finit toujours par rattraper ceux qui tentent de le fuir : certains crimes tolèrent mal l’amnistie.
Une citation:
« Ceux qui avaient fait partie des « groupes de travail* » n’étaient pas des hommes normaux, pas même des bêtes, pensa-t-il, car aucun animal n’éprouve de plaisir à en faire souffrir un autre, c’était une capacité humaine qui venait apparemment avec l’intelligence: allez comprendre! Mais, mis à part ces doutes sémantiques, cet individu était l’un d’eux, il en était sûr, son efficacité mortelle, sa rapidité de décision et d’exécution étaient caractéristiques. […] ce à quoi il avait affaire maintenant était un tentacule qui émergeait du passé le plus sombre, le plus sale, le plus sinistre, preuve que l’appareil du terrorisme d’Etat n’avait pas été démantelé.
*Commandos chargés d’enlever les cibles de la junte militaire. »
Critique et thème bien tentants. Tu m’as bien convaincue de le lire. Merci !
A vot’ service 😉
Il me tentait déjà, tu ne m’aides pas avec cette chronique car j’ai encore plus envie de le découvrir ! 😀
😉
J’ai vu qu’il était dans la prochaine « masse critique » de Babelio…