lundi , 17 novembre 2025

Un train pour la fin du monde

Auteure: Daniela Ratiu

Editeur: Grasset – 15 octobre 2025 (352 pages)

Lu en novembre 2025

Mon avis: Pendant la deuxième guerre mondiale, l’URSS de Staline, le « Grand Frère de l’Est », a aidé la Moldavie* à combattre les forces de l’Axe et à se libérer du nazisme. Une aide qui n’avait rien d’altruiste puisque elle se fera payer, et chèrement : la « dette de guerre » autorise les Russes à prélever (comprendre : piller) les ressources locales. Céréales, bétail, nourriture, meubles, vaisselle, draps, matelas, tout, jusqu’au moindre boulon ou plume d’oreiller, est réquisitionné et envoyé par wagons entiers vers la Mère Patrie. Pendant ce temps-là, les Moldaves n’ont qu’à se taire, sauf pour remercier le Petit Père du Peuple de sa bienveillance. Tu parles. Comme toujours, l’Histoire, cette grande distraite, repasse les plats (mauvais jeu de mots, d’accord), celui de l’Holodomor en l’occurrence. Parce que les gens crèvent littéralement sur pied, jonchant les rues de leurs cadavres, fauchés par la famine et la sécheresse qui n’arrange rien. A moins qu’ils ne soient abattus au coin de la rue, pour un oui ou pour un non, ou même pour rien, par un soldat russe désœuvré, ivre ou simplement sadique. Et s’ils ont le malheur d’être des femmes, elles chercheront en vain à échapper à un viol collectif préalable.

La peur, l’angoisse, le désespoir sont tels (« …la peur du Russe. Une peur diffuse. Partie intégrante de l’esprit, du corps. Comme un organe supplémentaire. L’organe de la peur du Russe. ») que la folie guette et que les derniers tabous tombent : les rumeurs de nécrophagie et de cannibalisme ne sont pas que des rumeurs.

Dans cet environnement atroce, Stefan et Saveta ont décidé de partir avec leurs cinq enfants.

Partir où, ils l’ignorent, mais de toute façon cela ne peut pas être pire que dans leur village.

Partir comment, ce sera en train, un de ces trains de la faim qui s’éloignent vers l’Ouest et croisent en chemin les trains en partance vers l’URSS, bourrés de vivres confisqués.

Pour payer les billets, Stefan et sa fille aînée vont travailler quelques temps à la ville. Pendant leur absence, Saveta veille sur les autres enfants, la peur et la faim au ventre, luttant pied à pied pour trouver de quoi leur préparer un vague bouillon agrémenté de trois haricots un jour sur deux.

Quand Stefan et la fille aînée reviennent, il faut encore vendre tout ce qui reste, sacrifier tout ce qui pourrait entraver le voyage (une scène déchirante).

A bord du train, l’issue n’est pas encore certaine. Le voyage dure plusieurs jours, on ne sait pas ce qu’on trouvera à l’arrivée et en attendant, la faim et la peur sont toujours là. Les voyageurs sont nourris au lance-pierre et les soldats russes sont toujours aussi cruels et imprévisibles. Et dans les gares, des fonctionnaires proposent aimablement aux parents de confier les enfants qu’ils ne peuvent nourrir à des centres d’accueil. Certains acceptent… (autre scène insupportable de détresse).

Parmi ces corps affamés, décharnés, affaiblis, la moindre miette de pain, la moindre gorgée d’eau croupie est un trésor qu’on fait durer le plus longtemps possible.

Dans l’omniprésence de la mort et de la peur, garder espoir et foi en l’humanité relève de l’utopie, ou presque.

Daniela Ratiu est l’une des petites-filles de Stefan et Saveta. Elle s’est inspirée des souvenirs de sa mère et de sa tante pour écrire ce livre absolument terrible et glaçant, parfois à la limite du soutenable au vu des souffrances, humiliations, abus en tous genres, de la déshumanisation infligés par les Soviétiques. Comment parvenir à préserver un tant soit peu d’humanité, à éprouver amour ou tendresse dans un contexte aussi mortifère ?

L’écriture viscérale, mordante, lancinante, vous prend aux tripes et à la gorge. Les nombreuses phrases nominales et infinitives, par leur sécheresse et leur tranchant, installent une tension oppressante, constante, qui reflète celle que vivent les personnages.

Au bord de la folie et de la mort, l’espoir, aussi fou que cela paraisse, résiste encore dans ce texte éprouvant et marquant. A lire.

*J’avoue ne pas avoir réussi à démêler le nœud régional de l’époque et m’être embrouillée entre Roumanie, Moldavie (roumaine et soviétique) et Bessarabie.

En partenariat avec les Editions Grasset via Netgalley.

#Untrainpourlafindumonde #NetGalleyFrance

Présentation par l’éditeur:

Fin des années 1940, au cœur des terres arides de la Moldavie. Un train pour la fin du monde nous plonge dans un quotidien où la famine, la sécheresse et l’occupation soviétique ont transformé la vie de Stefan, Saveta et leurs cinq enfants en un combat désespéré pour leur survie. Les rivières sont à sec, les puits taris, les villageois n’ont plus de quoi s’alimenter. Les cadavres jonchent les rues et les rumeurs de cannibalisme hantent tous les foyers.

Dans ce décor apocalyptique, Stefan et sa fille aînée partent travailler sur un chantier dans une ville voisine afin de pouvoir acheter des billets de train, leur unique espoir d’échapper à cette terre condamnée. Pendant ce temps, Saveta reste au village avec les plus petits. Chaque jour ils subissent le rationnement, la peur des soldats russes et la menace d’un clan de charognards. Mais lorsque le moment de fuir approche et que la famille parvient enfin à monter à bord d’un «  train de la faim  », la peur ne s’évanouit pas aussi rapidement que leur maison et les biens qu’ils ont laissés derrière eux. Ce train, à la fois tunnel vers l’inconnu et microcosme du désespoir, transporte des âmes déracinées, des corps affamés, des soldats assoiffés de violence, et des espoirs plus que jamais fragiles. Dans ce monde où la mort rôde en permanence, chaque geste de tendresse, chaque miette de pain, devient alors un acte de résistance.

Inspiré de l’histoire familiale de l’autrice – Daniela Ratiu est la petite-fille de Stefan et Saveta –, Un train pour la fin du monde est une fresque déchirante sur la survie et la résilience humaine, autant qu’un témoignage bouleversant sur la capacité à espérer. Un livre qui résonne avec la guerre actuelle en Ukraine, dont est originaire le grand-père de l’autrice.

Quelques citations:

– Quand la botte russe se pose quelque part, elle n’en repart plus.

– On ne peut pas affronter les Russes. Ils considèrent que tout leur appartient et les hommes ne valent pas cher à leurs yeux. Ils vous regardent comme si vous étiez transparents, on n’existe pas pour eux ou si on essaie d’exister, ils vous collent une balle dans la tête.

Evaluation :

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