jeudi , 21 novembre 2024

De purs hommes

Auteur: Mohamed Mbougar Sarr

Editeur: Philippe Rey – 2018 (191 pages) ou Le Livre de Poche – 2021 (192 pages)

Lu en août 2022

Mon avis: Ndéné Gueye est un jeune professeur de littérature française à l’université de Dakar. Formé en France, il est rentré au pays plein d’enthousiasme et d’idées pour dépoussiérer l’enseignement de la littérature. Mais aujourd’hui, au bout de quelques années à peine, découragé par l’inertie de ses collègues et le désintérêt de ses étudiants, il est à deux doigts d’être totalement blasé.

Un jour, dans cette morosité heureusement embrasée par les rendez-vous avec Rama, sa vibrante amante, il visionne une vidéo, déjà virale à travers le pays, qui montre une foule d’hommes exaltés occupés à déterrer un cadavre et à le traîner ensuite pour le laisser pourrir hors du cimetière. Le cadavre est celui d’un jeune homme, dont on dit qu’il est « goór-jigéen », c’est-à-dire un « homme-femme » en wolof, autrement dit un homosexuel, et plus largement toute personne dont l’identité sexuelle n’est pas dans la « norme » hétérosexuelle. Et à ce titre, ce jeune homme est indigne de reposer dans un cimetière musulman.

Imprégné de préjugés, de ses culture et traditions, fils d’un imam orthodoxe, Ndéné ne voit tout d’abord rien d’incompréhensible à cette sorte de lynchage post-mortem. Puis, peu à peu, sans que lui-même comprenne bien pourquoi, cette vidéo lui revient en tête, l’interroge, l’obsède, le révolte, et le pousse à se renseigner sur ce jeune homme, son histoire, sa famille, en même temps qu’il prend réellement conscience de la situation critique des homosexuels au Sénégal.

Au même moment, il prend connaissance, avec retard, d’une note du ministère de l’Education interdisant d’aborder les œuvres d’auteurs homosexuels, alors qu’il venait tout juste de donner un cours sur Verlaine. Comme il refuse de s’en excuser, il est suspendu par le doyen de la Faculté.

Il n’en faut pas davantage pour faire naître les soupçons et les rumeurs sur l’orientation sexuelle réelle de Ndéné…

Roman incandescent, cruel et révoltant, « De purs hommes » parle du rejet des góor-jigéens et de l’opprobre jeté sur leur famille, dans un Sénégal gorgé de croyances intégristes, selon lesquelles l’homosexualité n’existe pas dans ce pays mais y a été apportée par la propagande européenne. Il parle d’ignorance crasse, d’inculture, d’intolérance, et de l’hypocrisie d’une société religieuse et moraliste côté face, avide de sexe côté pile.

Un roman très sensuel, puissant, à la fois plein de colère et de compassion, sur la difficulté, dans un tel contexte, de choisir entre sa communauté et sa conscience, et plus largement, sur les questions essentielles, existentielles, de l’identité, de la liberté d’être soi-même et du courage de s’assumer tel que l’on est.

Présentation par l’éditeur:

Tout part d’une vidéo virale, au Sénégal. On y voit comment un cadavre est déterré, puis traîné hors d’un cimetière par une foule. Dès qu’il la visionne, Ndéné Gueye, jeune professeur de lettres déçu par l’enseignement et fatigué de l’hypocrisie morale de sa société, devient préoccupé, voire obsédé par cet événement. De qui s’agissait-il ? Pourquoi avoir exhumé le corps ? À ces questions, une seule réponse : c’était un góor-jigéen, un  » homme-femme « . Autrement dit, un homosexuel.
Ndéné se met à la recherche du passé de cet homme. Autour de lui, dans le milieu universitaire comme au sein de sa propre famille, les suspicions et les rumeurs naissent…
Un roman bouleversant sur la seule grande question qui vaille aux yeux de son héros : comment trouver le courage d’être pleinement soi, sans se trahir ni se mentir, et quel qu’en soit le prix ?
Quelques citations:
– Etre jugé ou ne pas l’être: qu’est-ce qui était pire? Dans les deux cas, on était soumis au regard de l’autre, même si ce regard ne le voulait pas. En ne me jugeant pas, Rama me donnait le droit d’être entièrement libre. Je ne l’étais donc pas totalement. Si j’avais besoin qu’on ne me juge pas pour être moi-même, je dépendais encore de l’autre, de son jugement comme de son non-jugement. […] Méfiez-vous des personnes qui prétendent ne pas vous juger: elles l’ont déjà fait, peut-être plus durement que les autres, même quand elles sont sincères, surtout quand elles sont sincères. Sans le vouloir, peut-être sans le savoir, elles vous ont pensé et décortiqué jusqu’à l’os.
– Ils attendaient de moi une réponse simple et claire. Ils l’espéraient. Mais qu’est-ce qui est simple? Où est la clarté? Existe-t-il une seule vérité limpide? Une parole véritable ne tire-t-elle pas sa justesse de la difficulté qu’elle éprouve à éclore, face à la tentation de facilité et d’arrogance? L’essentiel ne se dit pas dans la fluidité, dans la parole aisée et nette; je crois, au contraire, qu’il s’énonce par l’hésitation, par les silences profonds et nuancés, impurs, qui séparent ou rapprochent, je ne sais vraiment, toute parole de celle qui la suit ou la précède.
– …ils étaient loin d’être les seuls, dans cette société, persuadés de réfléchir alors qu’ils ne professaient que de vagues opinions sans danger pour leur esprit. La plupart des gens pondaient des opinions extérieures à eux, sur des objets qui ne les engageaient à rien et en rien. Ils parlaient sans conséquence. C’est ce qui leur permettait de dire toutes les stupidités possibles impunément, sans même s’en rendre compte. Rien de plus facile. Le dernier des imbéciles est capable de donner un avis superficiel sur un sujet qui lui est étranger. Or c’est parler des choses qu’il faudrait, je veux dire de l’intérieur des choses, de cet intérieur inconnu, dangereux, qui ne pardonne aucune imprudence, aucune bêtise, comme un terrain miné…
Evaluation :

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