mardi , 19 mars 2024

La septième croix

Auteur: Anna Seghers

Editeur: Métailié – 2020 / Métailié (Suites) – 9 septembre 2021 (444 pages)

Lu en août 2021

Mon avis: A la fin des années 30, dans la région de Mayence, sept prisonniers (des opposants allemands au régime nazi) s’évadent du camp de Westhofen. Aussitôt l’alerte est donnée, la chasse à l’homme lancée, et le commandant du camp fait ériger sept croix comme autant de futurs poteaux de torture, où les évadés rendront leur dernier soupir dès qu’ils auront été repris. Parce qu’il n’est absolument pas envisageable qu’ils disparaissent dans la nature; un pouvoir totalitaire ne saurait tolérer pareil affront. Et la traque est intense, les mailles du filet très serrées, l’information diffusée dans les journaux et sur les ondes, les réseaux de mouchards sont activés, on ne donne pas cher de la liberté des fugitifs. Et de fait, ils sont repris assez rapidement, sauf un : Georg Heisler. Pourtant repéré à de nombreuses reprises, il reste insaisissable, échappant chaque fois d’un cheveu à ses poursuivants, de plus en plus énervés et furieux. Le hasard, la chance, une complicité inattendue ou une aide inespérée le maintiennent vivant et libre pendant une semaine. Après… à vous d’aller au bout du roman pour connaître son sort.

Bien plus qu’un suspense policier ou le récit d’une cavale improbable, « La septième croix » est le portrait d’une Allemagne qui, après la défaite de la Première Guerre et la débâcle économique qui a suivi, s’est engagée dans la voie du totalitarisme national-socialiste. La société est devenue hyper-contrôlée et hyper-contrôlante, les faits et gestes sont espionnés, les délations vont bon train, les chefs d’immeubles et de quartiers sont aux aguets pour démasquer les traîtres à l’ordre nouveau. La résistance interne n’a pas été totalement anéantie, mais sa marge de manœuvre pour éventuellement venir en aide à Georg est infime, et le moindre mot ou acte peut devenir héroïque à force d’être périlleux. « Était-il permis de mettre un homme en danger pour en sauver un autre ? Hermann pesa et soupesa tout encore une fois : oui, c’était permis. Pas seulement permis, mais nécessaire« .

Ecrit en 1939, lors de l’exil de l’auteure en France et publié pour la première fois aux USA en 1942, ce roman polyphonique met en scène une foule de personnages autour de Georg, qui l’ont connu ou pas, qui vont le croiser ou pas, qui partagent ses convictions ou ne pensent qu’à le livrer à la Gestapo. De lâchetés mesquines en gestes anodins salvateurs donc suicidaires, de la résistance au fanatisme des SS en passant par la masse de ceux qui ont adhéré au parti pour avoir à manger et éviter les problèmes, la nature humaine se révèle dans l’adversité, et pas toujours comme on aurait pu s’y attendre.

La narration est très réaliste et détaillée, passant d’un point de vue à l’autre avec une fluidité étonnante. L’auteure joue aussi avec les focales, passant des détails de la vie quotidienne à des plans panoramiques sur les paysages environnants, ou à une dimension quasi-mythique quand elle insère des éléments de l’univers du conte ou quand elle remonte aux conquêtes de l’époque romaine.

Le récit est tendu, haletant, la psychologie des comportements, rendue infiniment complexe par le contexte de dictature, est analysée très finement. Je ne suis pas totalement emballée ni convaincue par ce style (et/ou la traduction?), mais ce roman est un texte profond et puissant, qui montre qu’en dépit des circonstances les plus terribles, « au plus profond de nous il y avait aussi quelque chose d’insaisissable et d’inviolable« .

En partenariat avec les Editions Métailié.

Présentation par l’éditeur:

Dans les années 30, sept opposants au nazisme s’enfuient d’un camp. Un formidable appareil policier est mis en branle pour les retrouver et sept croix sont dressées. Aidés par la solidarité ouvrière ou bien trahis par des voisins ou des inconnus, combien des fugitifs seront capturés ?

Anna Seghers, qui, pour écrire son récit, a longuement écouté et recueilli les témoignages d’exilés, trace le portrait d’une humanité proche de nous : « Nous avons tous ressenti comment les événements extérieurs peuvent changer l’âme d’un être humain, de manière profonde et terrible. Mais nous avons également ressenti qu’au plus profond de nous il y avait aussi quelque chose d’insaisissable et d’inviolable. »

Ce roman, publié pour la première fois aux États-Unis en 1942, a connu un immense succès international : il a même été envoyé aux soldats américains partis libérer l’Europe.

Une citation:

– Dès le premier mois qui suivit la prise de pouvoir de Hitler, des centaines de nos chefs [les résistants allemands au régime nazi] avaient été assassinés, partout dans le pays, chaque mois, d’autres l’étaient. […] Toute une génération avait été exterminée. C’est ce que nous pensions par ce matin terrible et nous le dîmes aussi, pour la première fois, nous dîmes qu’il nous faudrait quitter cette vie, tant de nous assassinés, éliminés de la surface du globe, qu’il nous faudrait périr sans descendance. […] un no man’s land allait s’étendre entre les générations, que les anciennes expériences ne parviendraient pas à franchir. Quand on lutte, tombe, et qu’un autre reprend le drapeau et lutte et tombe aussi, et que le suivant le reprend et doit à son tour tomber, c’est un ordre naturel, car on n’obtient rien sans en payer le prix. Mais si personne ne veut reprendre le drapeau, parce que personne ne connaît plus sa signification? Alors, nous eûmes pitié de ces jeunes gars qui faisaient la haie pour accueillir Wallau, lui crachaient dessus, le regardaient d’un air bovin. Voilà qu’on arrachait du sol de ce pays ce qu’il produisait de meilleur, parce qu’aux enfants on avait enseigné que c’était de la mauvaise herbe. Tous ces garçons et ces filles, là dehors, une fois qu’ils avaient derrière eux la Hitler Jugend […] puis le service du travail et l’armée, ils étaient semblables aux enfants de la légende qui, élevés par des bêtes, finissent par déchirer leur propre mère.

Evaluation :

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2 commentaires

  1. J’ai déjà noté ce livre il y a longtemps, mais je pensais qu’il avait été écrit après-guerre. Ca lui donne une toute autre tournure, de savoir qu’il a en fait été publié dès 1942!

    • Et pour être tout à fait exacte, le livre a en réalité été écrit en 1938-39, alors que l’auteure était à Paris et recherchée par la Gestapo, mais elle avait réussi à l’envoyer à son éditeur qui se trouvait alors à New York. Elle-même parvient ensuite à gagner la zone libre avant d’embarquer pour le Mexique.
      Merci pour votre commentaire, j’ai ajouté la précision dans ma chronique 😉