jeudi , 28 mars 2024

Une vie entière

Auteur: Robert Seethaler

Editeur: Sabine Wespieser – 2015 (160 pages)/Folio – 2018 (144 pages)

Lu en novembre 2023

Mon avis: 150 pages pour une vie entière, celle d’Andreas Egger, né aux alentours de 1898, mort à l’âge de 79 ans. Orphelin à 4 ans, il est confié à un parent éloigné, fermier dans un village des Alpes autrichiennes. Celui-ci n’accepte de recueillir l’enfant que moyennant quelques espèces sonnantes et trébuchantes, et à condition que le gamin soit corvéable à merci. Cet homme brutal ne se privera pas non plus de battre Andreas à la moindre occasion, au point de le rendre boiteux.

A 18 ans, Andreas quitte la ferme et loue sa force de travail à qui en voudra. Dur à la tâche, se contentant de peu, il économise, s’achète un bout de terrain et retape la ruine qui s’y trouve.

Dans les années 30, Andreas se fait embaucher sur le chantier du téléphérique qui va ouvrir sa vallée sur le monde, ou l’inverse. A la même époque, il rencontre Marie, serveuse à l’auberge, et ils tombent amoureux.

Un toit, un travail, une femme qu’il aime et qui l’aime, une vue imprenable sur les montagnes, Andreas n’a besoin de rien de plus pour être heureux.

Puis il y aura un drame, puis la guerre. Andreas est envoyé sur le front dans le Caucase, avant d’être déporté en URSS (ses seuls voyages), où il restera prisonnier de longues années.

A son retour au village, il tentera de reprendre le cours de sa vie, mais les choses ont changé dans la vallée : l’agriculture et l’élevage ont été remplacés par le tourisme et l’hôtellerie, les flancs de sa montagne ont été défigurés par des pistes de ski. Mais Andreas va de l’avant : un homme doit « élever son regard, pour voir plus loin que son petit bout de terre, le plus loin possible ».

150 pages pour une vie entière, ç’aurait été peu pour raconter une vie riche d’exploits et d’aventures extraordinaires. Mais, sa vie entière, Andreas aura été un homme ordinaire et humble, pris comme tant d’autres dans les tourments de la Grande Histoire et dans les tragédies personnelles, et qui n’en fait pas tout un fromage. Simplicité, ténacité, dignité, l’amour d’une femme, du travail bien fait et de la montagne, c’est tout (mais c’est tellement) ce qui caractérise Andreas, qui vit, discret et solitaire, au rythme de la Nature, et qui observe avec perplexité les changements que celle-ci subit au nom du progrès et de la modernité.

A l’image de cette vie, l’écriture de R. Seethaler est faite de simplicité et de sobriété, d’intériorité entre les silences, de mélancolie et de tendresse. Une de ces écritures, poignante parce que dépouillée, qui s’efface devant la richesse des émotions qu’elle suscite.

Présentation par l’éditeur:

Bien souvent dans le restant de sa vie, Andreas Egger repensera à ce matin de février dix-neuf cent trente-trois où il a découvert le chevrier Jean des Cornes agonisant sur sa paillasse. Dans une hotte arrimée à son dos, il l’a porté au village, sur un sentier de montagne de plus de trois kilomètres enfoui sous la neige. Pour se remettre d’aplomb après cette course hallucinée, il fait halte à l’auberge : quand le corsage de Marie, la jeune femme qui lui sert son schnaps, effleure son bras, une petite douleur l’envahit tout entier.

Andreas Egger a déjà trente-cinq ans alors, et il a construit sa vie tout seul : orphelin, il a été recueilli à quatre ans par une brute dont les coups l’ont rendu boiteux. Malgré cela, comme il le dit à Marie au moment de lui demander sa main : un homme doit « élever son regard, pour voir plus loin que son petit bout de terre, le plus loin possible. »

Aussi prend-il part à l’aventure des téléphériques, qui vont ouvrir sa vallée à la modernité, avant d’être envoyé sur le front de l’Est, dans les montagnes du Caucase. À son retour, « le maire n’est plus nazi, à la place des croix gammées les géraniums ornent de nouveau les fenêtres des maisons » et les étables vidées de leurs bêtes abritent les skis des touristes.

Pris par la force visuelle de certaines scènes – la déclaration d’amour à Marie est un morceau d’anthologie –, et par une langue sobre et rythmée où chaque mot est pesé, on ne lâche pas ce saisissant portrait d’un homme ordinaire, devenu bouleversant parce qu’il ne se donne d’autre choix que d’avancer.

Evaluation :

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