Auteure: Taina Tervonen
Editeur: Marchialy – 31 août 2022 (300 pages)
Lu en août 2022
Mon avis: En 1890, le colonel français Archinard et son armée prennent la ville de Ségou, dans l’actuel Mali. Ils s’emparent du trésor du palais, dans lequel figurent notamment des bijoux et un sabre, qui aurait appartenu à El Hadj Oumar Tall, seigneur musulman érudit et chef de guerre, qui fonda au 19ème siècle un empire sur le territoire des actuels Sénégal, Mali, Guinée et Mauritanie. Parmi le « butin » ramené en France par Archinard se trouvent également deux enfants, dont Abdoulaye, 10 ans, petit-fils d’Oumar Tall.
A l’heure où le Sénégal et d’autres pays africains réclament la restitution des objets acquis (pour ne pas dire pillés) par les métropoles pendant la colonisation, l’auteure, journaliste et documentariste qui a passé son enfance au Sénégal, a décidé d’enquêter sur les objets volés à Ségou et en particulier sur le sabre d’Oumar Tall, désormais restitué au Sénégal par la France et exposé au Musée des Civilisations Noires de Dakar. Que sont devenus les autres objets, quel a été le sort des deux enfants enlevés à leurs racines ? Et le sabre en question est-il réellement celui d’Oumar Tall ? Exploitant toutes les archives et sources disponibles en France et au Sénégal, elle retrace peu à peu la piste des enfants et du butin, et fait émerger un pan violent et déshumanisant (mais ne le sont-ils pas tous?) et peu connu de l’histoire coloniale française. Sans se prétendre historienne, son enquête est cependant méthodique et fouillée, même si elle n’atteint pas le résultat escompté. L’auteure met le doigt sur la condescendance dont les (anciens) colonisateurs faisaient et font encore preuve à l’égard de leurs (anciens) colonisés. Ainsi, citant Felwine Sarr*: « Il y a comme une impossibilité à prendre en compte le fait qu’il existe un continent d’un milliard d’individus avec une jeunesse qui a droit à son patrimoine – exactement comme les jeunes Européens ont droit à leur patrimoine. Non, ils pensent que ce qui est à eux est à eux, et ce qui est à nous est aussi à eux ! Ils proclament l’universalité des musées, mais c’est une universalité centrée sur soi. […] Il y a toujours des arguments. ‘Il n’y a pas de musées en Afrique’ – nous en avons dénombré autour de 500. ‘A qui doit-on rendre ? A l’époque, le Sénégal ou le Bénin n’existaient pas’. Quand des objets ont été pris dans l’Empire austro-hongrois, on les a bien rendus à l’Allemagne ou à l’Autriche, même si l’empire n’existait plus. ‘Les objets n’ont pas été pris, ils ont été donnés ou vendus’. Oui, donnés ou vendus dans un rapport asymétrique de pouvoir. N’est-ce pas la même question que pour les biens spoliés juifs ? Quand des Juifs vendaient des toiles de maître pour trois fois rien afin d’échapper à la mort, on leur a quand même rendu leurs biens, à eux ou à leurs descendants. Pourquoi ces analogies ne fonctionnent-elles pas ? […] Rapidement, on se rend compte que la question ne se joue pas au niveau de la raison, mais bien ailleurs, poursuit-il. Elle se joue dans une vérité intime qui s’est construite dans le temps, à force de répétitions dans les films, dans les livres, dans les médias, dans les livres d’histoire, dans les discours politiques. Au fond, il y a toujours cette idée que l’Africain est un incapable ».
Un récit sensible et captivant et d’une lecture très fluide, qui témoigne d’une volonté d’ouvrir les esprits, avec humanité et humilité : « Je parcours les vitrines [du musée du Quai Branly], mes leçons de primaire en tête, et je vois une étranger mise en scène de l’histoire coloniale, transformée en un récit de dons, dénuée de toute trace de violence guerrière ou de domination, de toute référence à la brutalité dont ces objets sont les témoins directs. Le silence me paraît assourdissant ». « Ainsi, en 1893, il était impossible de penser que ces pièces soient africaines : trop délicates, trop fines, fabriquées avec des techniques trop sophistiquées. L’Afrique ne pouvait produire ce que les journalistes, à la vue des bijoux, qualifiaient d’ « originalité » et de « sentiment artistique ». Près de cent trente ans plus tard, leur regard me paraît schizophrène : il fallait admirer la beauté du butin de guerre, témoin de notre domination sur l’Afrique, tout en se disant que cette beauté ne pouvait provenir d’Afrique ».
*auteur en 2018, avec Bénédicte Savoy, du rapport commandé par E. Macron sur la question des restitutions
En partenariat avec les Editions Marchialy via Netgalley.
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Présentation par l’éditeur:
1890 : un colonel français entre dans Ségou, ville d’Afrique de l’Ouest, et s’empare d’un trésor. Parmi les objets du butin, des bijoux et un sabre. Alors que le Sénégal réclame la restitution du sabre depuis des décennies, symbole de sa mémoire collective, la France peine à répondre, prise dans un carcan idéologique et juridique. Ironie du sort, les bijoux ont, eux, été perdus, oubliés ou volés.
Partie sur les traces de ce trésor, T. Tervonen découvre une histoire coloniale violente dont les objets sont les témoins silencieux, une histoire dont nous resterons prisonniers tant qu’elle ne sera pas racontée.